← Retour

Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires

16px
100%

43. — C'est lui-même.

Comme ils sortaient du château, une belle voiture entra dans la cour. C'était celle du maître. Il arrivait accompagné d'un monsieur qui paraissait âgé, et qui descendit pourtant de voiture assez lestement, après quoi il porta ses regards de tous côtes. Les Baudry, l'ayant considéré en passant, se regardèrent ensuite les uns les autres, comme pour se consulter et se faire part de leur surprise. « Serait-ce le malheureux fugitif que nous reçûmes un soir au Rivage, et qui voulait tant de mal aux riches? » C'était lui en effet ; mais sa fortune avait bien changé, et il ne reconnut point ses hôtes, que d'ailleurs il ne devait pas s'attendre à voir sur ce bord.

Le vigneron, retenu par son maître, fut obligé de quitter les Baudry, qui se retirèrent dans la cahutte. Pendant tout le jour, il virent l'étranger parcourir la campagne avec le propriétaire. Rodolphe les suivait pas à pas. On allait et on venait, on s'arrêtait ; c'était une inspection minutieuse, non une simple visite. « Si je ne me trompe, dit Susanne, c'est un acheteur que nous voyons là. »

Le vigneron vint en effet apprendre à ses amis, dès le lendemain, que le domaine avait changé de maître. Bientôt ils virent le nouvel acquéreur se promener partout avec l'air d'importance que prennent beaucoup de gens en pareille occasion. Il était déjà entouré d'ouvriers. Il visita enfin la vigne et la cahutte, et demanda quels étaient ces locataires. Informé de ce que Rodolphe avait fait, il trouva fort mauvais qu'on eût disposé de ce refuge pour un autre usage que celui auquel il était destiné, et il fit dire à la veuve et à ses enfants qu'ils eussent à vider sur-le-champ la maison. Il avait, disait-il, de grands projets. On allait démolir cette baraque, arracher la vigne, planter des bosquets. Il n'y avait pas un moment à perdre avant les premières gelées.

Charles se rendit auprès du nouveau maître, pour tâcher d'obtenir un répit de quelques jours. L'homme refusa durement. Charles lui dit sans aigreur : « Vous êtes donc bien changé, monsieur, depuis que j'ai eu l'honneur de vous donner l'hospitalité? — Vous, l'hospitalité? — Oui, monsieur, là-bas, sur l'autre bord, dans une cabane aussi pauvre que cette cahutte.

L'étranger, à qui la mémoire était revenue tout à coup, ne put s'empêcher de faire un mouvement de surprise, mais, l'ayant réprimé d'abord. « Je ne sais ce que vous voulez dire ; vous me prenez pour un autre. — En effet, vous n'êtes plus le même, car, sans cela, étant devenu riche, vous auriez mis vos leçons en pratique, et vous seriez humain. « L'étranger lui tourna le dos et dit aux ouvriers : Vous abattrez cela dès aujourd'hui. » Là-dessus il rentra dans sa belle résidence, dont il avait déjà pris possession.

Chargement de la publicité...