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Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires

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33. — Réparations forcées.

Dès le même soir l'intendant revint à la chaumière. Qu'il était changé depuis le matin! Il se montra aussi humble, disons mieux, aussi rampant, qu'il avait toujours paru hautain. Il portait un panier rempli de pêches, proprement casées dans des feuilles de vigne. « Mademoiselle Juliette, dit-il avec un sourire forcé, j'en avais cueilli douze, en voici vingt-quatre. — C'est trop de la moitié, dit Charles. Donnez, je reconnaîtrai les nôtres ; pour celles de M. M…, nous ne pouvons les accepter de vous, qui n'avez pas le droit de les offrir. »

Quel orage de telles paroles auraient excité la veille! Cravel ne répondit pas un mot ; il laissa Charles reprendre ce qu'il voulut, et emporta le reste, en souhaitant le bonsoir à la famille, qui lui rendit poliment son salut.

Le lendemain, André, qui s'était approché du lac, revint, tout joyeux, dire que Cravel faisait enlever son réservoir. Quelques moments après, l'intendant arriva en effet avec un large baquet rempli de poissons. « Voilà qui vous appartient, monsieur Charles, dit-il, en le déposant devant ses pieds. — Fort bien, monsieur. Isabelle, c'est l'heure d'aller au marché, prépare-toi. Vois-tu les belles truites que tu auras à vendre? Aujourd'hui c'est M. Cravel qui a pêché pour toi. » Après s'être permis cette légère plaisanterie, il plaça les poissons dans le panier d'Isabelle, et rendit à l'homme son baquet.

Ainsi les choses reprirent leur premier cours, et les mauvais temps qu'on avait passés firent paraître d'autant plus agréable le retour de la sérénité. Cravel ne se montrait plus au Rivage. S'il passait derrière le bosquet, il saluait de loin Susanne, Charles, Isabelle et même le petit André. On lui rendait toujours cordialement politesse pour politesse ; ces bonnes gens n'avaient pas le moindre ressentiment de ses injures ; et, s'il avait pu s'en convaincre, en lisant dans leur âme, il n'aurait pas été moins surpris de leur générosité que de leur patience.

Un jour il vint dire à Susanne : « Nous avons un compte à régler ensemble. Vous m'avez fourni du poisson, de la volaille, des fruits, des légumes ; dites-moi, je vous prie, ce que je vous dois. — Il suffit que vous vous sentiez redevable, monsieur Cravel. Nous n'avons rien noté, nous ne vous demandons rien. » Il insista longtemps, non qu'il eût des remords : il n'agissait que par calcul, et voulait seulement assurer sa position ; mais il ne put vaincre la résistance de Susanne, et cette bonté ne le toucha point. Il imagina qu'on voulait conserver sur lui l'avantage qu'il avait donné par sa mauvaise conduite, et s'indignait de ne pouvoir faire accepter ses réparations intéressées.

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