Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires
5. — La cabane.
Pressé de se mettre à l'ouvrage, Charles ne perdit pas un moment. Il rassembla et mit sur une petite voiture à bras tous les outils et les matériaux dont il put disposer. Il voulait commencer son travail le lendemain au point du jour. Il y avait près d'une lieue de leur domicile à l'endroit où il devait s'établir. Il ne voulut prendre avec lui que son frère, et prévint sa mère qu'il ne reviendrait pas le soir, afin d'éviter de perdre en courses inutiles un temps précieux. André, tout fier d'être associé aux premiers travaux, fut prêt de grand matin, et se plaça derrière la voiture afin de pousser de son mieux. Charles prit en main le timon, en s'aidant d'une corde, qu'il se passa en écharpe autour des épaules. Ils partirent avant le lever du soleil.
Le premier soin du nouveau colon fut de recueillir le plus de roseaux qu'il pourrait. Heureusement personne ne l'avait devancé, et ne vint lui discuter cette précieuse récolte. Il ne l'aurait pas faite sans de grandes difficultés, s'il n'avait pas eu le bonheur de découvrir sous les saules une vieille petite barque, qu'on avait abandonnée dans ce lieu solitaire, comme étant hors d'usage. Charles la répara de son mieux, y planta quelques clous, et la remit à flot. Il n'aurait pu, sans doute, se risquer loin du bord sur une si mauvaise carcasse, mais elle pouvait lui suffire pour l'objet qu'il se proposait. Les roseaux sont chose légère, et ceux-ci étaient près de la rive. Charles se fit un aviron d'une branche de saule, et, muni d'une faucille, il se mit à l'ouvrage avec ardeur.
Malgré son désir de s'embarquer aussi, André dut rester au bord ; il aurait embarrassé et chargé le bateau inutilement. Il eut assez à faire, dès qu'il fallut transporter les roseaux jusqu'à la place que Charles avait choisie pour y construire la cabane.
A la nuit close, la récolte était loin de sa fin. Le jeune moissonneur, obligé de s'interrompre, éleva un abri provisoire, une sorte de tente, avec des roseaux et quelques perches, et les deux frères passèrent la nuit là-dessous, après avoir joyeusement soupé d'un morceau de pain bis. Le lendemain, ils recommencèrent leur travail au point du jour. Lorsqu'ils eurent enfin rassemblé tous les matériaux, Charles les mit en œuvre et commença sérieusement un travail fort semblable à ceux qu'il avait faits plus d'une fois en se jouant, pendant son enfance.
Il jugea prudent de réduire sa frêle construction à des proportions très-modestes, ne songeant qu'aux besoins les plus pressants, et persuadé qu'une fois établi avec les siens, il lui serait plus facile d'agrandir sa maison. Six mètres sur cinq lui parurent des dimensions suffisantes. Il avait apporté des lattes et des perches : ce furent les chevrons et les poutres du bâtiment. Après avoir planté en terre, aussi solidement qu'il put les premières colonnes, il y fixa des traverses, et, quand le châssis lui parut offrir un degré suffisant de solidité, il le couvrit d'une couche assez épaisse de roseaux, sur lesquels il appliquait extérieurement de longues baguettes liées de place en place aux premières.
Son frère allait de côté et d'autre à la recherche des osiers sauvages, des joncs, des clématites de haies, objets sans maître, parce qu'ils étaient sans valeur, et qui furent néanmoins très-utiles au jeune ouvrier, pour unir entre elles les diverses parties de son frêle édifice.
Il envoyait aussi quelquefois André chez leur mère, pour donner des nouvelles de leur travail. L'enfant rapportait quelques provisions, et ne manquait pas de s'extasier chaque fois à son retour, en voyant l'ouvrage avancer rapidement. En dix jours, Charles eut achevé la partie de la cabane qui, dans sa pensée, n'en devait former plus tard que la paroi intérieure. Il avait encore à faire un travail considérable, savoir, le revêtement extérieur, qu'il voulait élever à trente centimètres de la première cloison, afin de remplir tout l'intervalle avec de la mousse et des herbes sèches. Cependant le désir de recevoir chez lui le plus tôt possible sa mère et ses sœurs, joint à la crainte d'abandonner sans gardien cette construction fragile, le détermina à mander, sans autre délai, sa famille par le petit messager, en le chargeant d'expliquer de son mieux l'état des choses et les raisons qui rendaient désirable un prompt déménagement.