Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires
15. — Charles lutte contre la rivière.
Le long de la rivière, une large bordure de gazon couvrait une terre fertile, et il était facile de reconnaître aux profonds déchirements du sol, que cette bordure avait été beaucoup plus large encore. Des bouquets d'aulnes, noyés dans des flaques d'eau, ou séparés du bord par des fondrières, avaient manifestement appartenu au rivage ; la violence des eaux les en avait séparés, et ces ravages menaçaient de s'étendre plus loin, si l'on n'y portait pas remède.
En observant l'état des lieux, Charles s'assura qu'il pourrait, avec des efforts et de la persévérance, réparer le dommage et l'arrêter. Les terres enlevées par la rivière et repoussées par le lac, avaient formé, à quelque distance de l'embouchure, une barre, qui, gênant l'écoulement des eaux, les retenait en amont, même pendant l'hiver, quand celles du lac étaient basses. A cette époque, si la barre pouvait disparaître, beaucoup de terres demeureraient à sec, et prendraient de la solidité. Alors on pourrait exécuter plus facilement les travaux nécessaires, pour enlever définitivement à la rivière ce qu'elle avait pris.
Charles comprit toutes ces choses, et il vit bientôt en quel temps et de quelle manière il devait agir. Quand le lac eut commencé à décroître, il fit une saignée profonde au milieu de la barre. Son vieux bateau lui servit à voiturer jusqu'au bord ces terres grasses et limoneuses. Elles avaient nourri jusqu'alors des roseaux, qui croissaient merveilleusement dans ce sol fertile : elles allaient bientôt produire de plus riches récoltes. Ce que Charles avait prévu arriva : les eaux s'écoulèrent. Quand celles du lac furent descendues à leur plus bas niveau, réduisant la rivière à ses véritables limites, il planta, le long du bord, des branches de saules, d'aulnes, de peupliers, arbres amis des terres pleines d'eau. Ces branches prenant racine, deviendraient des arbres, et comme elles étaient plantées fort serrées, elles devaient, en grossissant, former une barrière puissante capable de résister aux assauts de la rivière dans ses grandes crues ; en attendant, Charles coucha intérieurement, contre les boutures, force branchages, afin de retenir les terres qu'il allait verser derrière ce rempart.
C'est de quoi il s'occupa ensuite, et ce fut un ouvrage de longue haleine : cependant il était achevé à la fin de l'hiver. La barre avait disparu ; Charles l'avait transportée tout entière sur son territoire, avec sa petite voiture. Heureusement le rouet n'avait pas cessé de tourner pendant ce temps-là ; les petits avaient travaillé et les nasses attrapaient tous les jours quelques poissons. Charles avait pu continuer son ouvrage sans l'interrompre : c'est ainsi que s'obtiennent les grands succès.