Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires
20. — Effets naufragés.
Ainsi la situation de cette vertueuse famille était meilleure de jour en jour. Un produit en amenait un autre. Avec le prix des légumes, on achetait du grain pour la basse-cour ; avec l'argent des poulets, on se procurait de quoi nourrir la cabane. Prospérité respectable dans son origine comme dans ses moyens! Si pauvres que fussent nos colons, ils ne s'appropriaient pas un brin d'herbe au mépris de la loi et de la justice. Après une nuit orageuse, durant laquelle la chaumière avait essuyé de terribles assauts, sans que le repos des habitants fût troublé ; pendant que les petits dormaient encore d'un profond sommeil, malgré le fracas des vagues, auquel ils étaient accoutumés, Charles, qui sortait toujours le premier, vit la grève couverte au loin de bois rejeté par les lames. C'était la charge d'un bateau, qui s'était versé tout entière dans le lac. Les bateliers avaient pu sauver leur vie et leur barque, mais l'orage les avait poussés fort loin de là. Charles appela promptement toute la famille. Ces pauvres gens firent si bien, que, dans l'espace de quelques heures, ils recueillirent tout le bois qui était à leur portée. C'était du hêtre de première qualité. Nos amis auraient eu là de quoi se chauffer longtemps, mais ils n'étaient pas gens à invoquer le droit d'épave et à profiter du malheur d'autrui. Ils savaient bien que des effets naufragés ne sont pas des effets abandonnés.
« Voilà tout ce que nous avons pu sauver, » dit Charles aux bateliers, quand ils firent leur tournée, pour tâcher de recouvrer leur bois perdu. Ces gens le comblèrent de remerciements, et voulaient lui faire accepter une partie de ce bois pour sa peine. « Non pas, dirent la mère et le fils ; nous n'avons fait que notre devoir. » Les bateliers répondirent : « Pourquoi tout notre chargement n'est-il pas tombé dans vos mains! »