Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires
HISTOIRE
DE
GERMAIN, LE VANNIER,
RACONTÉE PAR VALENTIN ***.
1. — Comment je fis la rencontre de Germain.
C'est un beau jour pour l'écolier que celui où il entre en vacances. Ce jour brillait pour moi, et, dès le soir, je quittai la ville, pour me rendre chez mes parents à la campagne. J'avais à faire un trajet de six lieues, le bâton à la main et le sac sur le dos.
On était dans les jours les plus chauds de l'année, et j'avais choisi la nuit pour faire mon voyage. Le soleil venait de disparaître, au moment où je sortais de la ville, mais je voyais, avec satisfaction, la lune se lever à l'autre bout de l'horizon ; pas un nuage au ciel, et la brise du soir, soufflant des montagnes, faisait déjà succéder à la chaleur étouffante une délicieuse fraîcheur.
Je cheminais depuis une demi-heure, livré aux plus agréables pensées ; le passé, le présent, l'avenir, me souriaient à l'envi : j'emportais de bons témoignages de mes maîtres ; j'allais revoir des parents aimés ; je faisais une course charmante. En marchant d'un pas léger, j'atteignis peu à peu une voiture au bas d'une montée, qui décida le conducteur de ce modeste équipage à mettre pied à terre pour ménager son petit cheval.
Et pourtant cet homme était un vieillard, déjà courbé par les années, et la voiture, quoiqu'elle fût d'un volume extraordinaire, n'était pas pour le cheval une charge bien pesante. Elle ne portait que des paniers, des corbeilles, des mannes et d'autres ustensiles, que fabriquent les vanniers.
La clarté du crépuscule me permit de distinguer encore en détail ces marchandises, et je fus d'abord surpris de l'élégance du travail ; ces produits attiraient l'attention par des couleurs et des formes agréables ; le tissu était souvent d'une finesse et toujours d'une régularité surprenantes.
Je ne pus m'empêcher d'en faire mon compliment au vieillard, après lui avoir adressé un salut, qu'il me rendit avec cordialité. Répondant ensuite à mes éloges, il me dit :
— Voilà plus d'un demi-siècle que je tresse l'osier : il n'est donc pas étonnant que je sois parvenu à un certain fini dans l'exécution, et qu'on aime dans le pays les corbeilles, les paniers et les berceaux de Germain.
— Ah! c'est vous, monsieur, qui êtes ce Germain le Bourguignon, dont j'ai entendu parler tant de fois! Je connais des enfants qui passent d'heureux moments dans la jolie voiture que vous leur avez faite.
— Oui, c'est moi, monsieur, qui suis Germain le vannier ou le Bourguignon, comme vous dites ; mais mon règne passe, et mon successeur sera, je l'espère, mon fils, mon Philippe, enfant de quinze ans, qui dort là-dedans sur la paille.
Je m'approchai de la voiture et j'aperçus le jeune garçon, qui paraissait plongé dans un profond sommeil.
— Il en aura pour quelques heures, dit le vieillard ; il a beaucoup marché tout le jour pour placer notre marchandise.
— Et vous cheminerez toute la nuit?
— Je vais à *** ; c'est à six lieues d'ici, et, pour ménager mon vieux serviteur, je ne vais guère qu'au pas.
— En ce cas, nous pourrons bien, si cela vous plaît, faire la route ensemble : je vais au même endroit que vous.
— Monsieur, votre compagnie me sera fort agréable. Vous avez choisi la nuit, comme moi, pour éviter la chaleur?
— Oui, monsieur Germain, et nous aurons une nuit aussi belle que le plus beau jour.
— Voilà, dit le vieillard, les premières étoiles qui se montrent ; elles ont un éclat extraordinaire. Voyez Vénus au couchant, et, là-bas à l'orient, Jupiter, qui se lève pour escorter la lune, dont la lumière ne l'empêche pas de briller lui-même comme un diamant!
— Oh! monsieur Germain, vous connaissez l'astronomie!
— Moi? pas du tout! je n'en sais pas même autant que l'almanach ; seulement, je me suis fait nommer, dans l'occasion, quelques étoiles : ce sont des choses qu'on n'oublie pas. Ah! monsieur, que le ciel est beau!
En disant ces mots le vieillard leva un peu la tête, et je pus le considérer à loisir, parce qu'il resta quelques moments plongé dans une contemplation muette. Les rayons de la lune brillaient dans ses yeux humides ; une sérénité céleste se répandit sur sa figure ; ses lèvres paraissaient articuler quelques mots : ce ne pouvait être qu'une prière. Je n'avais jamais vu, ailleurs que dans les tableaux, une tête de vieillard aussi belle et aussi expressive.
Au bout de quelques instants il reprit la parole.
— Vous me semblez, monsieur, un écolier en vacances, qui va peut-être passer les congés dans la maison paternelle.
— C'est cela même, monsieur Germain. Comment se fait-il que vous deviniez si juste?
— J'ai su par hasard à la ville que le collège a fermé ses portes aujourd'hui ; votre âge, ces livres, que j'aperçois dans votre sac, enfin votre air joyeux… Voilà tout le mystère. Heureux ceux qui sont attendus! Heureux ceux qui attendent! Pour moi, je ne suis plus attendu qu'au ciel. Vous voyez là tout ce qui me reste de ma famille!
— Vous me faites compassion, M. Germain, et, si j'osais vous demander en détail l'histoire de votre vie, je suis sûr que j'y trouverais de précieux enseignements.
— C'est possible, monsieur, car l'expérience d'autrui profite presque toujours aux cœurs bien disposés.
— Malheureusement vous allez remonter dans votre voiture et…
— Et qui vous empêche d'y monter avec moi? Venez vous asseoir à mon côté : vous prendrez la place de mon Philippe ; il ne paraît pas disposé à vous la disputer de sitôt. En allant de ce pas nous ne fatiguerons point mon cheval, et vous arriverez plus dispos chez vos parents.
L'offre était séduisante ; Germain la faisait d'ailleurs de si bonne grâce! J'en profitai. Quand nous fûmes assis sur le petit banc à dossier, nous gardâmes quelques instants le silence ; enfin, mes regards ayant exprimé l'impatience que j'avais d'entendre l'histoire du vieux Germain, il commença en ces termes :