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Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires

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11. — Les récoltes du pauvre.

André, Isabelle et Juliette, nés avec un bon naturel, et déjà disposés à seconder du mieux qu'ils pouvaient leur mère et leur frère, prirent un zèle bien plus grand pour le travail, quand ils se virent établis selon leur goût, et qu'ils purent juger chaque jour, par leurs propres yeux, du progrès de leurs affaires domestiques. Ils y contribuèrent sensiblement, et l'on s'étonne, quand on passe en revue le grand nombre de choses qu'ils pouvaient recueillir, parmi celles qui n'ont point de maîtres, ou que l'usage abandonne aux pauvres gens. Tous les lieux, toutes les saisons, payaient leur tribut à ces petits moissonneurs, et tantôt leur mère ou eux-mêmes vendaient le produit de leur tournée, tantôt ce qu'ils avaient recueilli servait directement à l'entretien du ménage.

Dès le printemps ils cueillaient sur la lisière des bois, ou le long des chemins et des sentiers, la violette, la primevère, le muguet, l'anémone et d'autres fleurs, dont ils faisaient des bouquets qu'ils vendaient à la ville. Sous la direction de leur mère, ils apprirent à connaître une foule de plantes médicinales, qu'un pharmacien consciencieux ne leur achetait pas à trop vil prix. Au commencement de la belle saison, avant que l'herbe des prairies se soit trop élevée, on permet aux femmes et aux enfants d'y cueillir la chicorée sauvage : nos petits ouvriers étaient infatigables à ce travail, et remplissaient des paniers de cette herbe, aussi délicate dans sa nouveauté qu'elle est salutaire. Les bonnes soupes que Susanne en faisait pour la famille! Ils trouvaient dans les champs une autre espèce de chicorée, qu'on ne recherchait pas moins, et la mâche qui fait de si bonnes salades ; ils cueillaient au bord des eaux le cresson, dans les prés l'oseille sauvage, le long des haies les tiges encore tendres du houblon, et jusqu'aux pointes des jeunes orties. Les taillis, les clairières des bois, leur donnaient les morilles et les champignons.

Un champ de blé était-il ouvert aux glaneurs, Isabelle et les deux petits jumeaux s'y trouvaient toujours les premiers et les derniers. Leurs glanures étaient de véritables moissons. Ils récoltaient encore d'autres graines, que la main de l'homme n'a pas semées, et sur lesquelles ils avaient un plein droit, par exemple, le plantain et la bourse à pasteur, que les serins des Canaries mangent avec tant de plaisir. L'amusement que les citadins trouvent à tenir captifs ces jolis étrangers, valait quelques petits sous aux habitants du Rivage.

Même au milieu des pays cultivés, le pauvre a son verger dans les bois, les montagnes et le long des chemins. Il y récolte sans maraude des fruits qui lui rapportent un peu de pain. Les montagnes voisines offraient aux enfants de Susanne les fraises, les framboises, les myrtilles ; ils ne dédaignaient ni l'épine-vinette, que les confiseurs leur achetaient volontiers, ni la mûre des haies, qu'ils portaient aux pharmaciens. Ils s'élevaient quelquefois plus haut, et recueillaient les baies du genévrier. Les environs leur donnaient en abondance la noisette, la châtaigne sauvage et plusieurs autres fruits. Sur les montagnes, le pin se dépouillait pour eux de ses pommes résineuses ; ils emportaient des sacs tout pleins de cette richesse, si précieuse pour le foyer.

Des travaux plus importants ne permettaient pas à Charles la pêche à la ligne ; mais, lorsque André sut bien nager, ce qui ne tarda guère, on le laissa pêcher aux heures et dans la saison où l'on savait qu'il ne perdrait pas son temps. Ces jours-là, il fournissait de petits poissons la table de sa mère. Il allait aussi avec ses sœurs pêcher les écrevisses, dans un ruisseau peu éloigné. Ils avaient même plus d'une sorte de chasse, sans permis, sans fusil et sans chien. Après la pluie, ils ramassaient des paniers d'escargots, dont ils trouvaient à la ville le débit assuré, parce qu'on en fait un bouillon salutaire dans certaines maladies ; ils fourrageaient dans les bois les fourmilières et enlevaient les œufs impitoyablement, pour les vendre aux amateurs de serins, ou pour nourrir des perdreaux et des cailles. André aurait bien voulu faire aussi la guerre aux nids d'oiseaux ; mais sa mère, qui lui abandonnait les fourmis, comme ennemies de l'agriculture, lui avait fait promettre de ne pas troubler ces familles innocentes, qui nous récréent de leurs chansons, et qui défendent les récoltes contre une foule d'insectes pillards.

André et ses sœurs firent mieux encore : ils se mirent au service de la science. Dirigés par un naturaliste, qui les employa, ils attrapèrent des insectes de mille espèces, et particulièrement des papillons ; ils apprirent à soigner, à ménager leurs proies les plus délicates ; ils contribuèrent à former plus d'une collection, qui naissait sous la main d'un écolier ; ils enrichirent même le musée de la ville. Chacune de leurs sorties était donc utile à la petite communauté. En même temps qu'ils faisaient de joyeuses promenades, ils recueillaient quelques objets de commerce ou quelques provisions.

Cependant leur mère ne les voyait pas sans inquiétude s'éloigner de la cabane, surtout quand ils allaient au bois ou à la montagne. Son imagination, que la tendresse rendait craintive, lui figurait tous les dangers que des enfants si jeunes pouvaient courir. Susanne leur recommandait de rester toujours ensemble, d'éviter les précipices et tous les endroits dangereux, de ne pas provoquer la colère des animaux malfaisants ; elle les avertissait encore de ne faire aucun dommage aux plantations, aux fruits, aux clôtures. Elle leur disait : « On déteste avec raison les petits maraudeurs ; ils s'exposent quelquefois à de rudes châtiments. Si, au contraire, on vous connaît dans le pays pour des enfants honnêtes, on vous aimera, on vous protégera, et, lorsqu'un méchant essaiera de vous nuire, on vous défendra. » La pauvre femme avait lieu de croire ses enfants dociles ; cependant chaque fois qu'ils s'éloignaient de la chaumière, elle les suivait des yeux tristement et les recommandait au Seigneur.

Avec le temps, les petits grandirent, et les alarmes de Susanne diminuèrent. Elle n'eut jamais lieu de regretter d'avoir confié sa jeune famille à la bonne Providence. L'enfant pauvre est sans doute exposé à des accidents auxquels on peut dérober l'enfant riche ; mais celui-ci court d'autres dangers, qui ne sont pas moindres. Souvent, trop de précautions prises pour lui l'amollissent, et le rendent poltron et maladroit ; on lui fait éviter quelques périls, mais il ne saura pas résister aux accidents imprévus, tandis que l'enfant pauvre s'en tire habilement, parce qu'il a exercé de bonne heure sa vigilance, sa force et son courage.

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