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Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires

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28. — L'abus de la force.

C'était une dîme fort onéreuse pour ces pauvres gens, et cependant ils se seraient trouvés bien heureux d'éviter à ce prix toutes les vexations. Encore si l'on avait paru satisfait et si l'on avait reçu ces présents de bonne grâce! Au contraire, on n'y vit plus, au bout de quelque temps, qu'une chose due, et l'on se montrait toujours plus exigeant. Tantôt le poisson était trouvé bien petit, tantôt ce n'était que de la perche, et l'on aurait voulu de la truite. Un jour l'intendant, voyant Charles au jardin, lui cria par-dessus la haie : « Il me faut pour ce soir un plat de poisson ; j'ai du monde à dîner. » Cet ordre, donné avec arrogance, blessa le jeune homme au cœur ; cependant il quitta sa bêche, il appela André, qui travaillait de son côté, et ils allèrent sans retard à la pêche. Ils ne prirent que des lottes, qui même n'étaient pas bien grosses. Charles les fit porter à Cravel par ses sœurs, avec des excuses de ce qu'il n'avait pas mieux réussi.

Le lendemain, il essuya des reproches. « Si vous m'aviez averti d'avance, monsieur l'intendant, vous auriez été mieux servi. — Je ne veux plus, répondit-il brusquement, m'exposer à ces contre-temps désagréables. Je ferai placer là, près du bord, un réservoir flottant ; vous aurez à le pourvoir de poissons, et j'y ferai prendre, selon ma convenance, ce dont j'aurai besoin. » Le réservoir fut établi, et les Baudry devinrent décidément les tributaires de l'intendant. Comme il allait fort souvent à la provision, la tâche des pauvres pêcheurs n'était pas légère.

Si du moins on les avait laissés libres chez eux comme auparavant! Mais le méchant se mêlait de tout, il contrôlait tout, comme s'il avait eu affaire à ses gens. Charles voulait-il émonder quelques arbres forestiers, qui poussaient trop de branches et nuisaient aux cultures : « N'y touchez pas, » lui disait l'intendant. Voulait-il construire quelques digues pour se garantir du lac ou de la rivière : « On s'y prenait mal, » disait Cravel, ou « ce n'était pas le moment, et l'on devait d'ailleurs se pourvoir au dehors des matériaux nécessaires. » Charles disait doucement : « Monsieur m'a toujours permis ce que vous me défendez. — Monsieur n'a jamais regardé aux choses d'assez près ; c'est mon devoir de veiller à ses affaires. — Eh bien, dit un jour Charles, poussé à bout, dites-moi, monsieur, ce que je vous dois payer par année ; passons un bail, je vous prie, et laissez-moi cultiver librement ce que j'ai créé sans le secours de personne! — Holà! de quel ton me parlez-vous, mon ami? Prenez garde! vous n'êtes ici que par tolérance : soyez donc plus honnête et plus réservé. » Charles garda le silence et dévora cet affront. « Mère, disait-il en soupirant, on veut me prouver que votre défiance était bien fondée. Mais auriez-vous pu croire à tant de méchanceté?

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