Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires
17. — La truite.
Il entremêlait ces travaux pénibles d'occupations plus agréables. C'était toujours un plaisir pour lui de lever les nasses. Il le partageait quelquefois avec son frère et ses sœurs, depuis qu'il avait mis la barque en meilleur état. Par une belle matinée d'automne, il les avait menés tous trois avec lui. Les enfants aimaient beaucoup ces petites promenades, et, pour être admis à les faire, ils ne s'y permettaient aucun mouvement brusque et dangereux ; cependant, ce jour-là, lorsqu'ils virent la nasse dans le bateau, et, dans la nasse, une belle truite de six livres, qui faisait des sauts désespérés, ils sautèrent eux-mêmes de joie, et firent balancer le bateau, tellement que Juliette perdit l'équilibre, et serait tombée dans l'eau, sans le prompt secours de son frère. On revint en triomphe. « Que ferons-nous de ce beau poisson? dit la mère. — Eh! nous le vendrons sans doute, dit André, en soupirant. — Non, mon ami, nous ne le vendrons pas, nous le donnerons. — A qui donc, s'il vous plaît? — A notre bon voisin. — J'y pensais, dit Charles, et depuis longtemps je souhaitais d'avoir quelque chose dont on osât lui faire hommage. Nous enverrons Isabelle et Juliette présenter cette offrande. » Aussitôt dit, aussitôt fait. On coucha la truite sur un linge blanc dans une corbeille d'osier, ouvrage du petit frère. Les deux sœurs mirent leurs meilleurs habits, et se rendirent chez le vieillard. Elles furent très-bien reçues ; il les remercia lui-même avec bonté, et se garda bien de reconnaître d'abord leur politesse autrement que par un accueil gracieux ; mais, quelques jours après, il envoya à ses voisins une simple et bonne pendule, avec cette devise sur le socle :
Jusque-là nos colons ne s'étaient servis que d'un cadran solaire, horloge bien imparfaite, que Charles avait établie sur le devant de la cabane, et que le voisin avait probablement remarquée. Un cadran solaire ne mesure que les heures où le soleil brille, et l'on peut juger si la pendule fut bien reçue!
A quelque temps de là, ayant vu Charles transporter chez lui les terres nouvellement fournies par le cantonnier, M. M… proposa au fils de Susanne beaucoup mieux que cela. Il avait dessein d'ouvrir dans sa campagne de nouvelles allées ; il en avait déjà fait le tracé lui-même : « Enlevez, dit-il à Charles, toute la bonne terre, à la profondeur qu'il vous plaira ; vous la remplacerez par du gravier et du sable : nous y gagnerons tous deux. » Le jeune garçon accepta avec reconnaissance et se mit sur-le-champ à l'ouvrage. Il eut encore de quoi s'occuper longtemps ; les allées étaient longues et larges ; la terre se trouva bonne presque partout, à la profondeur d'un ou deux mètres : il n'en voulut rien perdre. Et que pouvait-il faire de plus avantageux à la petite colonie? Par ce moyen, toute la partie supérieure du Rivage fut renouvelée. Charles y put travailler tout l'hiver, car, sur la rive du lac, il est rare que la mauvaise saison soit assez rigoureuse pour interrompre les travaux de la terre.