Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires
22. — Bonheur du pauvre.
Le lendemain, l'étranger quitta ses hôtes de bonne heure, sans se faire connaître, et sans leur dire un seul mot de ses desseins ; ils le virent s'éloigner en regardant de tous côtés avec défiance, comme une personne qui craint d'être poursuivie. « Il s'en va bien mécontent de nous, dit Isabelle : il n'a pu nous persuader que nous sommes les gens les plus malheureux du monde. » Comment nos pauvres amis auraient-ils pu le croire? On n'écoute là-dessus que son propre sentiment. Et puis, n'avaient-ils pas ce qui fait le vrai bonheur? Une conscience pure, la santé, le travail, la présence de ceux qu'ils aimaient, et sans cesse le livre de la nature ouvert pour eux à ses plus belles pages! La veuve, entourée de ses enfants et comblée de leurs caresses, disait quelquefois : « Vous avez reconnu, mes amis, que les riches vous abandonnent beaucoup de choses utiles à la vie ; vous avez moissonné où d'autres passaient et repassaient sans voir la moindre chose à recueillir : combien d'avantages plus précieux on nous laisse encore, et dont nous savons seuls jouir! L'ambitieux, qui s'emprisonne dans les grandes villes, où l'air, la lumière et l'espace lui manquent, renonce à ce qu'il y a de plus aimable dans l'univers ; ceux qui restent dans les campagnes, mais qui, trop attachés à la fortune, ne vivent que pour amasser de l'or, n'ont jamais le temps de lever les yeux et de bénir. Ils vivent sous le ciel et n'y songent pas ; la campagne, les monts, les rivages, tous ces objets ravissants, qui nous offrent des peintures mille fois plus belles, j'imagine, que celles des palais, tout cela est pour les gens affamés de richesses comme s'il n'existait pas. Ils traversent leurs superbes cultures, sans y voir autre chose que des écus. Ils y trouvent encore plus de soucis. Cependant elles charment notre vue ces moissons étrangères, et les petits oiseaux, qui viennent en recueillir les prémices sous nos yeux, nous disent, en se balançant sur l'épi, que notre part est aussi réservée. A d'autres le soin d'entasser, d'administrer, de conserver ; le pain quotidien ne manque pas à notre table : il nous arrive doucement avec ces travaux qui vous plaisent.
« Je n'ai qu'une étroite cabane : mais n'est-ce rien de la devoir aux mains d'un fils ; de le voir tous les jours auprès de moi, et de dormir sous sa garde, tandis que, dans la maison opulente, une mère pleure son fils absent, et le suit par la pensée au bout du monde, où il affronte mille dangers, pour doubler une fortune déjà trop grande? Notre demeure est petite ; cependant vous êtes-vous jamais trouvés trop près les uns des autres, autour de la table et devant le foyer? Si nous voulons de l'espace, aussitôt que le soleil se lève, et, le soir encore, quand les étoiles brillent, nous voilà sous le pavillon magnifique, dressé pour l'homme des mains de l'Éternel.
« Notre lendemain n'est pas assuré, nous dit-on. Eh! qui donc, riche ou pauvre, peut compter sur l'heure prochaine? Les riches sont-ils plus tranquilles que nous avec leurs précautions infinies? Ils sont plus inquiets mille fois, et l'événement justifie trop souvent leurs craintes. Ils se sont reposés sur eux-mêmes, et ils éprouvent par l'effet que c'est un appui bien fragile. Le pauvre se confie plus en Dieu et moins en lui : aussi est-il mieux gardé. »