← Retour

Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires

16px
100%

6. — Premier établissement.

Susanne n'avait pas besoin qu'on la pressât beaucoup ; d'ailleurs le terme de son bail était arrivé : il fallait vider la maison. Elle prit donc ses effets les plus nécessaires ; elle mit dans un panier ses petites provisions et se rendit au Rivage. C'était le nom, déjà choisi, de la petite colonie. Isabelle et Juliette, transportées de plaisir, gambadaient devant leur mère. Lorsque la pauvre femme vit de loin l'œuvre de son fils, elle eut le cœur serré tout à la fois de compassion et de tendresse. Charles, qui vint au-devant d'elle, disait en riant, pour déguiser sa confusion : « Voici notre château ; il est encore un peu à claire-voie. Heureusement les nuits ne sont plus aussi fraîches ; prenez patience, ma mère, vous serez bientôt mieux logée. »

Le déménagement ne fut pas long ; quatre voyages de la petite voiture y suffirent. Si étroite que fût la modeste case, on y logea facilement toute la fortune de la famille. Le soir, pendant le premier souper qu'on y fit, Isabelle, au comble de la joie, s'écria : « Nous voici comme Robinson dans son île déserte. — Non pas, dit André, Robinson était seul : nous sommes bien plus heureux que lui. — Et puis, dit Juliette, nous ne sommes pas dans une île déserte, mais dans notre pays, au bord de notre lac! — Où nulle chose ne nous appartient, dit tristement la mère, pas même le sable sur lequel on nous a permis d'élever cette cabane. Cependant il faudra songer à vivre. Moi, mes enfants, j'ai toujours mon rouet ; il ne tournera pas moins bien sous les roseaux que sous la tuile, et, s'il plaît à Dieu, l'ouvrage ne manquera pas ; Isabelle, qui se fait grande, s'occupera du ménage, et nous tâcherons d'utiliser la bonne volonté d'André et de Juliette. Charles est notre bras droit ; c'est chez lui que nous sommes : c'est principalement sur lui que je compte pour l'entretien de la colonie. »

Alors Charles exposa ses projets et son plan de conduite. Pendant qu'il construisait la cabane, sa jeune tête avait travaillé ; il voyait devant lui une longue suite d'entreprises, dont l'idée le réjouissait par avance. Ce récit les fera connaître chacune en son temps. On verra comment, secondé par une mère sage et patiente, par un frère et deux sœurs dociles, il réussit à fonder un établissement, qui aurait comblé les désirs de la veuve et de ses enfants, si la possession n'en avait pas été absolument précaire. Susanne disait quelquefois en soupirant : « Nous ne sommes pas comme Robinson dans son île, mais comme les passereaux sous le toit de l'homme ; si l'homme ne veut plus de nous, il peut nous faire déloger quand cela lui plaira. »

Chargement de la publicité...