← Retour

Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires

16px
100%

2. — Premier projet de Charles.

Quelques jours après, Charles dit à sa mère : « Voici le moment où je dois reconnaître, selon mon pouvoir, ce que vous avez fait pour moi, et vous montrer que je saurai suivre vos conseils et votre exemple. Avant que mes sœurs et mon frère pussent vous comprendre, nous avons souvent passé la veillée tout seuls, vous et moi, et vous la trouviez bien longue, parce que vous attendiez mon père ; pour moi, il vous en souvient, je vous quittais toujours à regret, quand vous me disiez : « Charles, il est onze heures, il est minuit ; laisse-moi : tu as besoin de sommeil. » J'avais tant de plaisir à vous lire les histoires saintes, et à vous les entendre expliquer! vous me teniez des discours si sages sur les vanités du monde! Que de fois, en vous écoutant, j'ai béni dans mon cœur mon aïeul, qui vous a si bien instruite! Je prêtais l'oreille, en cardant la laine, et en suivant des yeux votre main diligente, qui ne cessait pas de filer le chanvre ou le lin, et je me disais : « Un jour je l'aiderai, je la consolerai ; je veux qu'elle me bénisse et qu'elle se puisse dire : Il n'y a pas au monde une mère plus tendrement aimée. »

La pauvre Susanne fut tout émue en écoutant ce langage, et Charles la pressa dans ses bras, sans pouvoir achever d'abord ce qu'il avait à dire. Il ajouta, un moment après : « On m'apprend qu'une riche famille de la ville demande un valet de chambre, et qu'elle n'exigerait pas un homme qui eût déjà du service, pourvu qu'il fût docile et de bonnes mœurs : voulez-vous que j'aille me présenter? Je vous quitterai avec beaucoup de regret, ma mère, mais je vous ferai vivre, et je pourrai plus tard aider mon frère et mes sœurs à se placer à leur tour.

— Ainsi nous serons dispersés, dit Susanne. Triste condition, à laquelle bien des familles indigentes savent pourtant échapper! Ce n'est pas sans une peine bien vive, mon bon Charles, que je consens à cette séparation ; cependant je ne vois pas dans ce moment d'autre parti à prendre ; notre loyer est échu ; je ne sais comment nous le paierons à l'avenir, et nous voilà sans asile. Mon rouet aurait beau tourner pendant quinze heures tous les jours, je ne pourrais pas suffire à la moitié du nécessaire ; et, malheureusement, ma mauvaise santé ne me permet pas d'employer mon temps d'une manière plus lucrative. Va, mon enfant, j'accepte tes services le cœur pénétré ; un jour, je l'espère, ces petits pourront les reconnaître mieux que moi. »

Charles mit ses meilleurs habits et se rendit à la ville. Il arriva trop tard ; la place était déjà donnée. Comme il revenait tristement, en suivant la grande route, qui, dans certains endroits, côtoie le lac d'assez près, il descendit sur la grève pour se reposer un moment à l'ombre des buissons fleuris. On était au printemps ; la vallée brillait d'un éclat magnifique. Charles regardait tour à tour le lac, les Alpes, les campagnes, et peu à peu il fut saisi de tristesse, à la pensée qu'il devrait peut-être quitter ce beau pays et s'en aller bien loin, pour trouver le pain de la famille ; ses sœurs et son frère s'exileraient à leur tour, et la mère resterait seule dans ce vallon délicieux, qui lui semblerait bien triste, quand elle n'y verrait plus ses enfants.

Chargement de la publicité...