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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXI.

En s’éveillant, Déborah trouva Patrick assis au pied de son lit.—Il la contemploit.

—Vous, déjà ici, Phadruig! s’écria-t-elle, vous m’avez fait peur!

—Levez-vous, et habillez-vous, mon amie; j’ai besoin que vous veniez avec moi.

—Vous avez l’air abattu! comme vous êtes pâle! Phadruig, vous souffrez?

—Oui.

—Qu’avez-vous, mon amour?

—J’ai, hélas! que si Dieu ne me soutenoit, j’aurois le désespoir et la mort dans le cœur.... Ah! ne me baisez pas au front! Mon front est couvert d’ignominie! les juges l’ont souillé, le bourreau l’a marqué de son fer! Je suis un meurtrier, un lâche assassin, un contumax!...

—Non! non! mon Patrick, vous n’êtes rien de cela.

—Si! vous dis-je; demandez-le au peuple de Tralée, qui m’a regardé pendre.

—Quoi! vous savez donc? Maudit soit celui qui vous l’a dévoilé!...

—Encore, s’il ne l’avoit fait qu’à moi!... Je sais tout depuis quelque temps, ma bien-aimée, et je vous le taisois, et j’espérois vous taire toujours ce que vous n’ignoriez pas vous-même: qui donc vous en avoit instruite aussi?

—Je ne quittai l’Irlande qu’au moment de cet attentat. J’ai assisté aux Assises et j’ai entendu la sentence des juges. Et à mon arrivée je vous l’avois caché pour vous épargner le chagrin où vous voici.

—Mais qui me poursuivoit à ce tribunal?

—Mon père.

—Ah, l’infâme!

—Et qui est venu vous l’apprendre, Patrick?

—Le bruit public. Il y a quelques jours, Fitz-Harris reçut une lettre de son frère qui l’en informoit; vite, il la communiqua à touts ses camarades; et M. de Villepastour, chez qui nous allons de ce pas, en a même une traduction.

—Ah, l’infâme!... Patrick, je vous le disois bien avant-hier, que vous étiez généreux et que vous alliez faire quelque chose que nul au monde ne feroit pour vous, et Fitz-Harris moins que tout autre.

Irez-vous encore, après cela, aujourd’hui, chercher à Versailles sa lettre de grâce?

—Oui.

—Patrick, Patrick, vous êtes trop généreux.

—Et vous, Debby, pas assez chrétienne.

—Oh! je ne le serai jamais jusque-là, de tendre une joue après l’autre; jusque-là, de lécher la main qui me frappe; jusque-là, d’embrasser tendrement l’ennemi qui m’étouffe.

Tout en causant des détails du procès et du jugement, ils arrivèrent à l’hôtel du marquis de Villepastour.

En entrant Déborah le reconnut aussitôt pour son impudent, son inconnu, son fat au costume vert-naissant; et ne put retenir un cri de surprise et d’effroi. Pour en dissimuler la cause à Patrick, elle feignit s’être heurtée contre un meuble.

—Qui vous amène, monsieur Fitz-Whyte? lui dit le marquis d’une façon brutale.

—Vous m’avez donné vingt-quatre heures pour me justifier, monsieur, si j’ai bonne mémoire.

—Te justifier devant cet homme?... Non! va-t’en, va-t’en!... s’écria Déborah se pendant au bras de Patrick et l’entraînant vers la porte.—Te justifier, mon agneau, devant la gueule béante de ce loup!... La vertu est ici à la barre du crime.—Non! non! viens-t’en, Patrick; viens-t’en, mon ami!...

—Debby, laisse-moi parler, je t’en supplie.

—Parler! Et à qui?... Mais il n’y a personne ici, Patrick, personne qui puisse t’entendre. Cet homme n’est pas un homme; il n’a ni foi, ni loi, ni Dieu, ni cœur, ni âme! C’est moins qu’un tigre, moins qu’un singe, moins qu’un chien! C’est un serpent qui souille de sa bave venimeuse.... Viens-t’en!

Pendant que Déborah, égarée par son ressentiment, crioit ces mots terribles, poignante réprobation du crime par l’innocence, qui auroit déchiré un cœur moins vieilli dans la débauche, le marquis de Villepastour, accoudé nonchalamment sur sa table, accueilloit chacune de ses paroles d’un sourire injurieux.

—Je vous demande pardon, monsieur, de la sortie que madame vient de faire contre vous; j’en suis dans l’étonnement et la douleur. Son esprit est troublé sans doute.

Bien que l’orgueil, l’honneur et d’affreuses conjonctures me défendent toute justification, monsieur le marquis, comme un seul mot renverse et détruit de fond en comble l’échafaudage de ma condamnation, et montre toute l’énormité d’un jugement si absurde qu’il répugne à la raison la plus sotte, j’ai cru devoir vous le dire ce mot; le voici:

Cette femme qui pleure à mes côtés, jeune, belle, bonne, fidèle et pure; cet Ange, que Dieu, dans sa bonté infinie, m’a donné pour guide et pour amie dès mes premiers ans; cette parcelle du Dieu qui me l’a donnée, pour laquelle je verserois goutte à goutte mon sang, et pleur à pleur ma vie, pour laquelle j’expirerois lentement dans les tortures de la question, seulement pour lui épargner la plus légère douleur; cette femme que j’avois, que j’ai, que j’aime, que j’adore, mon idole, mon culte; cette femme-là, ma colombe, ma bien-aimée, mon épouse, vase sacré, dont mes lèvres n’approchent qu’en frémissant, c’est celle-là même dont on m’a fait le meurtrier, l’égorgeur! C’est celle-là même, miss Déborah, comtesse Cockermouth-Castle, que j’ai tuée, que j’ai lâchement assassinée, et dans le sang de qui, farouche cannibale, j’ai lavé mes mains et abreuvé ma soif!... Ah! c’est atroce!... Oh! cela me brise et m’anéantit!...

—Rien ne me dit, monsieur, que ce soit en effet la comtesse Déborah de Cockermouth-Castle.... Pardon, mon travail m’appelle, je ne puis vous entendre plus long-temps.

Et d’un air importuné M. de Villepastour, passant dans une autre chambre, dont il referma la porte sur lui, laissa grossièrement Patrick et Debby, qui pleuroient et se tenoient embrassés.

Patrick fit quelques interrogations à Déborah sur ses emportements contre M. de Gave; mais elle n’y répondit que d’une façon vague et obscure.

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