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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXX.

Honteux de se trouver par la ville dans cet ignoble costume, Patrick accourut en toute hâte à l’hôtel Saint-Papoul.

—Me reconnois-tu? dit-il en entrant à Déborah, qui demeuroit consternée. Regarde, vois ce que les hommes ont fait de ton époux!...

L’ont-ils assez avili? l’ont-ils assez souillé, dis?...

Il n’en put proférer davantage, et tomba évanoui.

—Eh! que vous est-il donc arrivé, mon bon ami? Parlez, Patrick, qu’avez-vous? que vous ont-ils fait, ces méchants? Qui t’a revêtu ainsi de ce bonnet et de ce sac?... Parle-moi, réponds-moi, mon ami!

—Votre ami!... pauvre femme!... Gardez-vous bien de me donner ce nom, que je ne saurois plus accepter; je suis trop chargé d’opprobre! L’infamie est contagieuse, laissez-moi, fuyez-moi désormais!

Vous, noble et pure; moi, bas et ignominieux; moi flétri et flétrissant, nous ne pouvons être liés touts deux. Séparons, il en est temps encore, nos destinées: que la vôtre soit heureuse! que la mienne soit ce qu’il peut plaire à Dieu!... Autrefois, déjà, je vous l’avois bien dit de renoncer à moi; je suis funeste, voyez-vous! Laissez-moi seul rouler d’abymes en abymes; n’enlacez pas votre vie, qui sans moi seroit belle, à ma vie, qui ne sera qu’affreuse jusqu’au bout.

—Pas de désespoir, Patrick, calme-toi. Sois bon pour moi; ne dis plus de ces vilaines choses qui me font tant de mal, et que plus que toi peut-être j’aurois droit de dire. Va, si l’un de nous deux est funeste à l’autre, je ne suis pas assez aveuglée pour ne point sentir que c’est moi: c’est moi qui te nuis; c’est moi la cause première et unique de tes maux; c’est moi qui te suis fatale! Sans moi tu serois encore content et paisible aux bords du Lough-Leane, auprès de ta vieille et tendre mère, qui, sans doute, pleure ton éternelle absence!...

D’ailleurs, que penserois-tu d’un amour qui s’éteindroit avec le bonheur de l’objet aimé? Crois-moi, ce n’est point de l’amour profond et véritable celui qui tombe devant le dévouement. Mon amour pour toi, tu le sais, est durable; il est à l’épreuve de l’adversité; ne le repousse pas.

Va, il n’est pas de plaie dont le ciel puisse frapper l’humanité, qui auroit le pouvoir de m’éloigner de toi. Si tu dois être malheureux, si ton existence doit être à toujours dévorée par les chagrins, comme tu le dis, ce que je répugne à croire, ce qui ne peut être, laisse-moi près de toi. La Providence m’a placée là pour essuyer tes larmes, pour te soutenir dans tes abattements, pour alléger le faix de tes maux en les partageant. Garde-moi!... La solitude double le malheur.

Une compagne c’est un vase que Dieu donne à l’homme pour y verser le trop-plein de ses afflictions.

—Seigneur, répétoit Patrick en se heurtant le front, que je suis coupable! Frappe-moi, sois sans miséricorde! Tu m’as fait le don le plus grand et le plus beau que tu puisses faire à l’homme; tu m’as donné un de tes Anges; et je t’accusois, et je te blasphémois! Pardon, pardon, c’est la dernière fois!... Va, que tes saintes volontés s’accomplissent, je m’incline. Désormais tu peux m’accabler, tu me trouveras résigné à toute heure.

—Écoute, Patrick; après tout, j’aurois tort peut-être de m’imposer à toi, de vouloir m’attacher à ta suite. Si je pouvois penser que mon éloignement te rendît le bonheur, je m’éloignerois, non sans douleur, mais sans murmurer.—Écoute, si tu veux tu me laisseras, tu m’oublieras quand tu seras dans la joie et la félicité; mais, seulement, chaque fois que tu seras malheureux, tu reviendras te jeter dans mes bras, dans les bras de ton amie; je te consolerai.

—Mais toute joie, toute félicité ne me peut venir que de toi, généreuse amie!

Puisque tu veux bien t’immoler, demeure, demeure auprès de moi; ne m’abandonne pas; n’écoute pas ce que je te dis; quand je souffre, alors, vois-tu, je suis fou! Je te dis de me quitter, parce que je voudrois mourir; sentant bien que c’est toi seule le chaînon qui me rattache à l’existence; sentant bien qu’il n’est au monde que toi, mon amie, dont mon âme ne soit pas lasse.

—Si, par un mouvement de générosité que je blâme et que je repousse, tu avois pu exiger notre séparation, tu avois pu désunir notre sort, je ne t’aurois demandé qu’une grâce, une seule que j’aurois implorée à deux genoux: la grâce de venir de temps en temps apporter à tes baisers le fruit de notre amour, l’enfant que je porte en mon sein.

—Terre et ciel! mais que dis-tu,... Déborah?...

—Il ne m’est plus permis d’en douter, Patrick, je suis mère!

—Ah! béni soit Dieu, Déborah, béni soit Dieu! qui m’envoie tant d’allégresse; béni soit Dieu, qui me donne un fils!... s’écrioit Patrick, qui venoit soudain de passer des larmes à la plus folle joie. Il arrachoit et déchiroit son sarrau, et le fouloit aux pieds, il se jetoit dans les bras de Debby, il se pendoit à son col, il l’étreignoit, il lui baisoit le front, il lui baisoit les pieds.

—Ah! je ne croyois pas, ma chère Debby, que tant de bonheur me fût réservé. Insensé que j’étois!... car Dieu m’a-t-il jamais fait un refus! N’est-ce pas lui qui m’a donné une amie et des amours; une amie que les hommes ont voulu m’arracher; des amours qu’ils ont traversées et empoisonnées?

Je le vois bien, maintenant, Dieu est la source de toutes voluptés; le monde, la source de toutes tribulations. Toute la lutte, toute la fatigue est là, vois-tu!—Défendre et sauver des atteintes des hommes les biens que Dieu nous a donnés.

Oh! ce bien-là, je saurai mieux le défendre, ils ne me le détruiront pas!... D’ailleurs, le monde n’a que faire entre un père et son fils: nous le cacherons, nous le déroberons à ses regards comme un trésor qu’on enfouit; nous le tiendrons dans l’ombre et à l’abri de tout contact.

Mon Dieu! mon Dieu! que je suis heureux!... et toi, Debby, l’es-tu heureuse?

—Heureuse et fière, Patrick!

—Tu ne comprends pas peut-être, Déborah, toute l’étendue de ma joie? tu me trouves peut-être léger, puéril; mais, vois-tu, mon plus ardent souhait vient de s’accomplir, mon plus beau rêve se réalise; mon vœu, mon désir constant étoit celui d’avoir un fils dans ma jeunesse. Oh! que m’importeroit d’être père sur le tard de l’existence, d’avoir des fils qui ne me connoîtroient qu’ennuyeux et caduc, qui entreroient dans la vie quand je descendrois dans la tombe; à qui je manquerois juste à l’heure où ils auroient besoin de ma sollicitude; des fils que je ne verrois jamais hommes, que je ne pourrois point suivre en leur carrière, que je ne pourrois point soutenir dans l’adversité.

Je ne veux point de fils qui tremblent à ma voix austère, et qui prennent en pitié mes cheveux blancs, et fassent feu éteint devant moi. C’est un ami que je veux, un compagnon de ma vie qui m’aime et me suive en touts lieux; qui soit jeune comme moi, moi fougueux comme lui; qui partage mes jeux, mes travaux, mes illusions, mes peines, mes plaisirs et même mes débauches; enfin qui n’ait rien de secret pour moi en son cœur, et moi rien dans le mien de secret pour lui.

Comprends-tu mon bonheur, maintenant? Vois, quand j’aurai quarante ans il en aura vingt.

Grand merci, mon Dieu! merci! tu me vois satisfait. Voilà de quoi compenser bien des peines.

Il sera beau comme toi, Déborah; il sera beau comme ton âme! Vous jouerez ensemble; ce sera ta poupée; nous jouerons touts les trois, sans nous contrarier jamais.

Et si le Seigneur fait que ce soit une fille, cela te donnera une amie, une compagne; j’en serai joyeux également; nous la nommerons Kentigerne, autrement ce sera Kildare.

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