← Retour

Madame Putiphar, vol 1 e 2

16px
100%

IV.

Peu d’instants après un porte-clefs vint lui offrir de la part de M. le gouverneur une corbeille de figues et d’oranges fraîches cueillies; puis ensuite il lui apporta un matelas et du linge, un miroir, une écritoire complète, quelques menus objets de toilette à l’usage d’une femme, des parfums de Grasse et quelques bonbonnières en bergamote.

Ainsi que Déborah, vous venez de faire connoissance avec le gouverneur de Sainte-Marguerite, et, comme elle, vous devez être touché de ses nobles et bonnes manières. J’aurai peu de chose à ajouter pour vous parfaire son portrait: le caractère des hommes sans duplicité apparoît de lui-même: Je ne vous prendrai point la main pour vous guider et vous faire descendre avec moi dans les replis tortueux de son cœur; nous ne nous égarerons point à la recherche de ses sentiments ténébreux.

Monsieur de Cogolin, tel étoit, je crois, le nom de cet officier du Roi, quoique alors âgé d’environ soixante-cinq ans, étoit encore pétulant et vigoureux. Sa perruque rousse sur sa mine verdâtre le rendoit bizarre au premier aspect. Deux grands yeux noirs, pleins de vivacité, animoient ses traits, gros et ronds et assez insignifiants. La gaieté et l’insouciance faisoient le fond de son humeur. Il avoit du bon esprit et de l’esprit de saillie; de la culture, beaucoup d’usage et de politesse, et, parfois, lorsqu’il s’oublioit, un peu de cette brusquerie commune à touts les Provençaux. Il étoit réellement bon, et mettoit touts ses soins à alléger le sort des malheureux confiés à sa garde. Jamais il ne leur faisoit sentir son sceptre, dont il est si facile à un gouverneur de faire une massue. Autant que possible il éloignoit d’eux tout ce qui pouvoit leur rappeler qu’ils étoient captifs, et leur procuroit toutes les distractions que le lieu et sa fortune lui permettoient. Il leur donnoit des jeux, des journaux et des livres; pour promenoir, son jardin et tout le Fort; et souvent il les emmenoit en pleine mer faire des parties de pêche jusque dans les eaux d’Asinara.

Aussi touts les prisonniers et touts les habitants du fort le chérissoient-ils sincèrement, et avoient-ils pour lui une révérence et un attachement qui, aux yeux de personnes étrangères à ses bienfaits, auroient pu sembler du fanatisme.

Dans sa jeunesse il avoit beaucoup aimé, peut-être trop aimé les femmes, et c’étoit dans leur commerce qu’il avoit contracté ses formes amènes et ses manières exquises qui le distinguoient. Son regard en avoit conservé une expression tendre, sa voix un accent flatteur et ses gestes quelque chose de caressant. A l’amour avoit succédé en son âme la vénération, et il rendoit aux dames un vrai culte de dulie et d’hyperdulie. Cependant, et il en ressentoit un grand chagrin, depuis qu’il étoit gouverneur de Sainte-Marguerite il étoit privé totalement de leur compagnie. Il considéroit cette privation comme un châtiment de Dieu en expiation des fautes qu’il avoit commises envers elles. Mais pour atténuer son affliction, il s’entouroit de tout ce qui pouvoit lui donner de douces souvenances et flatter son idolâtrie. Il faisoit ses lectures favorites de Brantôme, de Bussy-Rabutin, de madame de Sévigné;... sans parler de Voltaire, son pain quotidien. Les murs de son appartement étoient couverts de portraits de femmes antiques et modernes célèbres par leurs talents ou leur beauté. Dans le milieu de son salon, sur un piédouche de portor, s’élevoit un buste en marbre de Ninon-de-Lenclos, que touts les jours il couronnoit d’une couronne de fleurs nouvelles et cueillies de sa main. Mais, par la suite, Déborah ayant emporté toutes ses affections et troublé sa religion solitaire, Ninon fut quelquefois oubliée, et porta quelquefois durant plusieurs jours un chapel de roses fanées.

Chargement de la publicité...