Madame Putiphar, vol 1 e 2
XXV.
En rentrant chez lui, notre merveilleux reçut une lettre fort aimable de madame Putiphar: elle le prioit de venir la saluer le plus tôt possible. Ceci le remit un peu de sa déconvenue.
Le lendemain, en courtisan heureux, il accourut à son petit lever.
—Ah! marquis, lui dit-elle, je suis enchantée de l’empressement que vous avez mis à vous rendre à ma semonce.
—Puissé-je, madame, n’en recevoir jamais que d’aussi douces.
—Dites plus vrai, que de moins indifférentes. Un gentilhomme à bonnes fortunes, comme vous, n’a pu trouver ce billet fort tendre, ou s’il l’a trouvé tel, ce ne peut être qu’en en pressurant le texte et tout à fait contre mon bon plaisir. Je vous proteste, marquis, que je ne suis point amoureuse de vous! Ceci vous surprend, sans doute, vous que toutes les femmes adorent! Mais veuillez, je vous prie, faire exception de moi; les exceptions font valoir les règles. Rassurez-vous marquis; mettez-vous à vos aises! Sur l’honneur, je n’aie point l’intention de vous séduire! S’il n’y avoit eu que moi pour vous débaucher, assurément vous mourriez comme Newton ou comme sainte Agnès ou sainte Rose de Lima.
—Mais est-ce là, madame, car je suis peu docte en ces matières, ce qu’on entend par le système de Newton. En ce cas, M. Arouet de Voltaire aurait fort bien pu se dispenser d’en donner un abrégé à l’usage des dames. D’ailleurs, en thèse générale, les dames ne sont pas pour les abrégés.
—Marquis, vous allez trop loin; vous mettez les pieds dans le plat et la mariée sur les toits!
—C’est vous, madame, qui tout-à-l’heure avec vos sarcasmes impitoyables me cassiez mes vitres d’une façon tant soit peu effrontée.
—Pardieu! marquis, de quoi vous plaignez-vous? n’êtes-vous pas un fat, et tout fat ne mérite-t-il pas d’être persiflé?
—Non pas touts par une bouche aussi jolie que la vôtre.
—Voici une flatterie qui me coûtera cher, n’est-ce pas, maître renard?
—Non, madame; une lettre de cachet au plus, elle est tout à fait désintéressée.
—Marquis, venons au fait; car ce n’est point pour baguenauder ainsi que je vous ai prié de venir.
Vous avez dans vos mousquetaires, je crois, un jeune Irlandois nommé Patrick Fitz-Whyte?
—Oui, madame.
—Quel est cet homme?
—Un grand dégingandé.
—Baste! il m’avoit semblé fort beau.
—Une espèce d’idiot dans le sens grec et françois de ce terme, c’est-à-dire, un niais et un ours.
—Tant pis; je le trouvois d’un esprit séduisant.
Et ses beaux cheveux blonds, marquis, de quelle couleur sont-ils?
—Laids et roux.
—Oh! pour le coup, marquis, sous la peau du lion je vois les oreilles de l’âne. Vous avez l’esprit antiché. Que vous a fait ce pauvre garçon? Qu’avez-vous contre lui?
—Moi, quelque chose contre lui! non, madame, au contraire c’est lui qui a une fort belle femme contre moi.
—Une femme?
—Femme ou fille.
—Fort belle?
—Oui.
—Tant pis.
—Après vous, madame, c’est la personne la plus accomplie que j’aie vu.
—Avant ou après vous, marquis, c’est le plus bel homme et le plus aimable homme que je connoisse. Vous êtes amoureux de sa maîtresse?
—Juste. Et vous amoureuse de l’amant de cette maîtresse?
—Juste.
—C’est un mauvais garnement.
—C’est une pimpesouée.
—Avant ou après vous, madame, c’est la fille la plus digne et la plus pleine de chasteté.
—Chasteté!... Comprenez-vous ce mot marquis?
—Ma foi! pas trop; mais cependant plus que la vertu qu’on lui fait signifier.
—Marquis, croyez-moi, cette vertu n’est qu’un mot.
—Alors, madame, si ce mot exprime une vertu qui n’est qu’un mot elle-même, ma pauvre raison commence à perdre pied; de grâce, c’est trop de métaphysique!
—Je vous déclare donc ce jeune homme mon protégé. Vous le traiterez avec distinction; vous lui accorderez toutes faveurs possibles.
—Madame, je le chasse demain.
—Non, vous me mettriez dans la nécessité de lui donner asyle.
—Mais c’est un meurtrier; mais c’est un contumax! Il vient d’être pendu en Irlande pour avoir assassiné la fille du comte de Cockermouth-Castle.
—En effet, si cela étoit, marquis, ce seroit un jeune homme de mauvaises mœurs; ce seroit un amant périlleux. Il l’a tuée, dites-vous?
—Oui, tuée; mais un peu comme on tue à la comédie; car c’est pour elle que je me meurs.
—Marquis, je vous défends de l’expulser; je vous défends de lui faire la plus légère avanie.
—Mais, madame, je ne puis garder, quel que soit mon désir de vous plaire, un assassin dans ma compagnie un homme flétri par les lois: l’honneur du corps s’y oppose.
—L’honneur des mousquetaires!... Voyez-vous ça!... Marquis, ces deux mots hurlent de se trouver ensemble. D’ailleurs, si l’honneur de ce corps s’y oppose, l’honneur d’un autre vous l’ordonne; entendez-vous, marquis!
—Madame, je suis votre plus humble et votre plus dévoué serviteur; mais cependant....
—Pas de restriction; attendez au moins quelques jours que je vous l’abandonne, ou que je pourvoie à son sort. Jusque là, entendez bien ceci, vous m’en répondez sur votre tête.
Sur ce, monsieur le marquis je prie Dieu qu’il vous tienne en sa sainte garde. Allez et faites ce que je vous ai dit.
Et M. le marquis de Gave de Villepastour, après un baise-main, se retira.