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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXXVIII.

Aussitôt que Déborah l’eut fait prier de venir La Madame accourut, et fut fort émerveillée de trouver la porte débarricadée et toute large ouverte.

—Si je me rends, ce n’est point par disette, voyez, madame, cette table est encore chargée de provisions, lui dit Déborah doucereusement, mais par un bon sentiment qui part de mon cœur, et que vous daignerez apprécier, je l’espère. Je vous demande humblement pardon de la colère où je me suis laissée emporter, et du scandale que j’ai donné en cette maison. Mais élevée comme je l’ai été dans un farouche rigorisme, et pleine de dégoût, comme on m’en a emplie, pour l’impudicité, j’ai été blessée profondément des images dont on avoit orné ces murailles. Désormais, je vous le proteste, je serai moins fanatique.

—Ce retour que je ne saurois trop louer, mylady, m’enchante plus qu’il ne me surprend; j’étois fermement persuadée que vous étiez bonne, et que ce n’étoit qu’une heure d’égarement produit par une colère bien justement motivée. Je vous prie de m’excuser pour les objets inconvenants que vous avez trouvés en cet appartement, et que vous avez fort bien fait de briser; comme je vous l’ai déjà dit, ils appartenoient à un vieillard qui occupoit ce local il y a quelques mois, et j’avois ordonné aux domestiques de les enlever; mais on est si mal obéi. Je vous demande surtout de vouloir bien n’en jamais parler à M. le comte de Gonesse; c’est un homme si sévère pour les mœurs, il ne me pardonnerait pas de sa vie cette malencontreuse négligence.

—Madame, vous pouvez compter sur ma discrétion.

—Votre pauvre ventre depuis trois jours a dû beaucoup souffrir de votre bouderie? Vous allez me faire l’amitié de l’amener dîner avec moi; en compensation je veux le traiter somptueusement comme un enfant prodigue; mais avant, il faut que nous nous parions. Vos beaux habits sont déjà prêts.

La Madame fit alors apporter une robe de triomphante couleur de pain brûlé, faite dans un goût charmant; Déborah la passa, elle lui alloit et lui seyoit à ravir. Dans l’enivrement La Madame tournoit et retournoit à l’entour en l’ajustant, en l’agitant pour le faire bouffer; elle sembloit jouer à la tour-prends-garde. Elle lui prenoit la taille entre les doigts, elle lui passoit une main voluptueuse sur ses hanches et sur sa poupe arrondie; elle lui baisoit les bras, les épaules et le dos dans ce vallon formé par la saillie des omoplates et sur la ravine des vertèbres. Toutes ces minauderies étoient entremélées de flatteries et d’exclamations. Quand elle eut épuisé son catalogue admiratif:—Il ne vous manque plus qu’un joyau, lui dit-elle, et vous serez le plus beau des chérubins.—Une servante à qui elle avoit parlé bas, revint aussitôt et lui remit une capse à bijoux. Elle en tira une longue chaîne d’or, qu’elle lui mit au col; à cette chaîne pendoit un médaillon, celui de Pharaon en costume de galant aventurier.—Ceci, ma charmante, est un cadeau du comte de Gonesse; cette miniature est son portrait; il a voulu, puisque lui-même en ce moment est éloigné de vous, que son image vous fût sans cesse présente, et il a passé procuration à ce bijou pour reposer sur votre cœur, en attendant qu’il puisse y reposer lui-même.

—Monseigneur le comte a trop de courtoisie et de bonté; je suis confuse de tant de faveurs, en vérité, je suis indigne de lui et de ses sentiments.

—Ses traits vous plaisent-ils? Comment le trouvez-vous?

—Il me semble beau et bien, sa figure est noble et douce, et son regard plein d’amitié.

—Venez, venez, ma chère mylady, vous êtes divine! vous êtes un amour!

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