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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXXI.

Dans la double solitude de sa retraite et de son cœur, non moins clos et non moins désert l’un que l’autre, Déborah demeura inébranlablement confinée depuis le meurtre de Vengeance. Elle attendoit impatiemment la fin de son supplice. Elle étoit dans l’état cruel d’une âme qui voudroit en avoir fini avec la terre, et qu’une juste crainte de Dieu empêche de se porter à un attentat. Ses habitudes mélancoliques, le chagrin, le désespoir, avoient répandu sur sa personne le même ravage que dans son esprit. Ce n’est pas qu’elle eût enlaidi; mais elle avoit perdu cette beauté absolue qui l’avoit fait autrefois distinguer d’entre toutes et de touts. Ce n’étoit plus la fière amazone! ce n’étoit plus une Penthésilée!—Pâle, lente et pensive, inclinée, elle avoit la joue creuse et l’air tout-à-fait abattu. Sa voix, devenue sourde et confuse, sembloit sortir d’entre les pierres d’une voûte. Comme une malade ou un phantôme, elle n’avoit plus que l’éclat blafard d’une statue de marbre ou d’un vase d’agathe.

Pour Icolm-Kill, conservant encore quelques restes de ses goûts séditieux qui l’avoient autrefois entraîné dans tant d’aventures et de malheurs, il ne vivoit pas, lui, dans un recueillement aussi austère que Déborah. De loin en loin il s’occupoit du monde et de ses contentions. A la querelle des Parlements il avoit pris un plaisir assez vif; cependant il faut penser toutefois qu’il n’étoit pas entré fort avant dans le mouvement public de l’époque, et n’y apportoit pas une grande sollicitude; car il y avoit bien près d’un mois que la Bastille étoit tombée entre les mains du peuple qu’on l’ignoroit encore au ménil d’Évêquemont.

Enfin, un matin cependant, d’un air de satisfaction étrange et sauvage, Icolm-Kill vint trouver brusquement Déborah, qui prioit au pied du sépulchre de la pelouse, et là, agitant une Gazette qu’il tenoit à la main:—O madame, s’écria-t-il, tandis que nous vivons ici dans un calme si grand, la France se débat dans le plus grand trouble! Nous sommes, à ce qu’il paroîtroit, sur le seuil d’une révolution qui promet d’être horrible et sanglante! Un affreux désordre règne à cette heure dans Paris. Le peuple, insurgé au nom de la vengeance, y promène la mort.—Tenez! voyez! Voici quelque chose qui, je crois, nous regarde!—«Dans la précipitation de notre rédaction, lisoit-il, nous avons omis, au milieu de tant de faits glorieux qui ont signalé chaque instant de cette immortelle semaine, qui d’âge en âge fera jusques au dernier jour du monde l’étonnement et l’admiration de nos neveux, quelques épisodes trop importants pour que nous puissions les passer plus long-temps sous silence.—Dans la journée, dans la grande et mémorable journée du 14, entre autres, comme il sortoit de Paris, dans une espèce de carrosse de voyage, travesti en laquais, ayant à ses côtés sa femme, travestie en ravaudeuse, portant la figure pâle et blême du lâche qui a peur, un contempteur du peuple, un vil aristocrate, M. le marquis de Gave de Villepastour, ci-devant capitaine-colonel des mousquetaires du feu Roi, et si connu pour son insolence envers la classe la plus honorable des citoyens, ce qu’il appeloit la canaille, fut arrêté, et, comme il étoit porteur de papiers qui sembloient le compromettre, amené par quelques braves et quelques soldats de la patrie à l’Hôtel-de-Ville. Là, au moment où il débouchoit du quai sur la grève, la foule, guidée par cette intelligence qui jamais ne lui défaillit, se précipita sur le carrosse de ce privilégié du despotisme, le renversa et le brûla sur la place. Quant à M. le marquis, comme on le pense bien, son compte fut court et bon; en un clin d’œil il fut arraché de sa chaise, pendu à cette potence de lanterne devenue depuis si célèbre, dépendu et livré enfin à la fureur de ces hommes de courage (qu’on s’efforce en vain de flétrir du nom de Cannibales), qui l’éventrèrent, lui tirèrent le cœur de la poitrine, lui tranchèrent la tête et la portèrent au bout d’une pique, afin que ce grand exemple allât répandre de toutes parts un effroi salutaire dans le cœur endurci de nos tyrans et des traîtres!...

—O mon Dieu! s’écria là-dessus Déborah, se cachant le visage dans les mains, et frissonnant d’étonnement et d’horreur,—ô mon Dieu! que la justice du peuple est terrible!!!

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