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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXXIX.

Déborah joua si bien la bénigne, qu’elle rentra promptement dans les bonnes grâces de La Madame, beaucoup plus avant même qu’elle ne l’auroit souhaité. Elle étoit poursuivie sans cesse de ses petits soins obséquieux, de ses prévenances, de ses flatteries, et accablée de sa compagnie, de sa cour; car c’étoit une vraie cour d’amant, une cour assidue, faite avec une galanterie exquise; cette galanterie chevaleresque dont aujourd’hui les hommes ont perdu toute tradition. Elle goûtoit un plaisir très-grand dans touts ces riens qu’un amoureux dérobe au corps de sa bien-aimée; elle recueilloit précieusement toutes ces babioles que Déborah laissoit à l’abandon, et touts les bouquets qui s’étoient fanés à sa ceinture et dans ses cheveux. Plusieurs fois, s’étant laissée aller à une expression trop passionnée de sa tendresse, elle avoit été sèchement rudoyée; aussi, n’osant plus espérer de faire partager son inclination, elle s’étoit retranchée dans des bornes respectueuses, et s’en tenoit à une espèce de culte plus que contemplatif et moins que platonique. Déborah, souvent le matin, étoit réveillée par de doux gémissements, de gros soupirs, et trouvoit une main posée sur son sein, et à côté d’elle La Madame tout en émoi, assise comme sur un rivage et penchée sur elle en extase comme si elle se miroit dans des flots.

On s’empressa d’informer madame Putiphar de l’issue de l’insurrection de Déborah et de sa conversion. Dès lors, Lebel commença à entretenir son maître de la nouvelle élève du Parc, jeune comtesse irlandoise, charmante, accomplie, ravissante, et à en faire l’éloge le plus pompeux et le plus propre à l’en rendre curieux. Elle fut peinte plusieurs fois dans différents costumes; ces portraits furent placés sous ses yeux, et eurent le don de lui plaire. Ainsi émoustillé et alléché, Pharaon manifesta le désir de la posséder incessamment.

Comme la grossesse de Déborah devenoit de plus en plus apparente, on fut enchanté de l’empressement de Pharaon, et l’on se rendit de suite à sa velléité. Tout fut préparé pour sa réception. Le matin du jour fixé pour leur première entrevue, mylady fut priée de descendre à la salle de bain, et là ses duègnes passèrent plusieurs heures à la peigner et à la parfumer. La Madame l’invita à déjeûner avec elle, et durant tout le repas l’exhorta à se conduire de la façon la plus gracieuse, à user de toutes les ressources de son esprit et de sa beauté pour enivrer son adorateur; elle lui exaltoit son bonheur, et la congratuloit d’avoir fait la conquête d’un homme si noble, si riche, si puissant, et lui peignoit touts les plaisirs, toute la fortune et toute la gloire qui l’attendoient; enfin elle termina par ces conseils qu’une mère glisse, au coucher des nouveaux époux, dans l’oreille innocente de sa fille.

Après déjeûner elle la reconduisit dans son appartement, qu’on avoit délicieusement décoré, et la vêtit légèrement d’un surtout de satin rose, sans oublier la chaîne d’or au médaillon. Lorsque deux heures approchèrent, c’étoit le temps que Pharaon avoit choisi pour sa visite, La Madame, pour obscurcir le grand éclat du jour et jeter du mystère, baissa les stores, en souhaitant mille félicités à la pauvre Debby, dont le cœur battoit douloureusement et qui trembloit comme une feuille morte, et frémissoit comme une liqueur sur un feu ardent; puis elle la baisa sur le front en lui serrant tendrement les mains et sortit.

Aussitôt qu’elle fut seule, Déborah attacha à son bras gauche un long crêpe noir.

Elle étoit dans la plus cruelle angoisse, et presque défaillante, quand tout-à-coup elle entendit un craquement d’escarpin dans le corridor et heurter foiblement du doigt sur la porte; elle accourut ouvrir, et Pharaon entra vêtu d’une façon magnifique, qui rappeloit le commencement du siècle et plus encore les beaux temps de l’amant de La Vallière. Il portoit une casaque de velours noir chargée de brandebourgs d’or, une veste de brocart de soie à ramage d’argent, des hauts-de-chausses amples comme des brayes de matelots et un feutre gris ombragé de plumes et entouré d’un large bourdaloue.

Sa figure étoit superbe, sa prestance majestueuse; éblouie, subjuguée par cet abord imposant, et sans doute par la pensée prestigieuse qu’elle étoit là, face à face avec un de ces hommes que le crime ou l’hérédité du crime fait berger d’une nation, Déborah se mit à genoux et inclina le front jusques à terre; mais Pharaon lui prit la main et lui dit:

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