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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXXI.

Après le dîner, Patrick dit à Déborah: Te plais-tu en cette ville, mon amie? te plais-tu en ce pays? regrettes-tu l’Irlande?

—Non, mon ami, je ne regrette point l’Irlande, mais je regrette le ciel, l’air, les arbres et les rochers de Cockermouth-Castle; les courses dans les bois, dans les montagnes; les promenades sur le lac de Killarney; les soleils-couchants de la Tour de l’Est, et surtout nos nuits dans le parc et sous le Saule-creux du Torrent. Je ne regrette que ce que l’on regrette toutes les fois qu’on quitte les campagnes pour les villes; je ne regrette que ce que j’aurois regretté également à Dublin, si pour y habiter j’eusse quitté nos âpres montagnes de Kerry.

Le séjour des villes est rétrécissant; ces boîtes, ces cages où l’on s’étiole emprisonné, compriment et sanglent l’âme comme un corset: notre esprit se borne entre deux planchers et quatre murailles; notre regard, qui ne peut percer au-delà, se brise et se rabat sur nous-mêmes; nous prenons l’habitude de nous complaire en nous, de nous satisfaire de nous, nous nous amoindrissons, nous nous raccornissons. La vue continuelle des ouvrages des hommes nous rend mesquin et bourgeois comme eux: nous oublions les grands spectacles de la nature, nous oublions l’univers, nous oublions l’humanité, nous oublions tout, hormis nous, et quelques goûts à satisfaire: toute la création n’est plus représentée pour nous que par quelques meubles, quelques chaises, quelques tables, quelques lits, quelques morceaux de toile ou de soie, dont nous nous amourachons, auxquels nous nous attachons comme l’huître au rocher, sur lesquels nous végétons et rampons comme un lichen.

Mon ami, demande-moi si je me plais avec toi, et je te répondrai oui, partout, en touts lieux; mais jamais, je le sens bien maintenant, ni le séjour de cette ville, ni d’aucune autre, ne saura me plaire.

—Ainsi, Déborah, s’il falloit que tu quittasses Paris, tu le ferois sans peines?

—Partant avec toi, je le ferois volontiers, je le ferois joyeuse même, car mon corps languit ici dans l’inertie, et mon âme dans le trouble. D’ailleurs, quoi veux-tu qui m’attache à cette terre? elle m’est aussi étrangère que les steppes de l’Ukraine; je lui suis aussi étrangère qu’un Indien: elle ne porte ni la tombe de mes ayeux, ni le berceau de mes enfants; elle ne me garde pas un seul souvenir.

—Que je suis content, chère amie de te trouver en cette bonne disposition: car, vois-tu, je ne suis plus en sûreté ici; il faut que nous quittions Paris en toute hâte; comme nous nous sommes enfuis d’Irlande, il faut que nous nous enfuyions encore de France.

—S’il en est ainsi, partons, partons, sauvons-nous! J’accepte cette fuite avec joie. Partons, laissons cette terre inhospitalière; je suis prête, Patrick; mais dis-moi, quel danger nous environne, quel péril nous menace, qui nous proscrit?...

—Aujourd’hui, à midi, tu sais, quand j’accourus couvert de ce sarrau de toile me jeter à tes pieds, je venois d’être expulsé ignominieusement des Mousquetaires; et la nuit dernière, cette nuit même, madame Putiphar m’a chassé de Trianon.

Depuis quelque temps, M. de Gave de Villepastour étoit changé pour moi: même avant l’arrivée de la lettre de Fitz-Harris j’avois remarqué cette altération. Tantôt il m’accabloit de caresses, tantôt il me parloit et me traitoit brutalement. Puis, il avoit fini par n’être plus que dur et cruel, et par me poursuivre impitoyablement de sa haine, que je ne sais pas avoir méritée. Il sembloit éprouver une secrète joie à me faire souffrir; il sembloit goûter une vengeance. Et de quoi se vengeoit-il sur moi? l’avois-je jamais blessé, cet homme? Aussi saisit-il avec empressement et colère l’occasion si belle qui vint s’offrir à lui de me persécuter. Il y a un mois il auroit mis autant de soins à étouffer ces accusations qui couroient contre moi, qu’il a mis d’acharnement à les proclamer, à me faire un esclandre ignominieux, à me couvrir d’infamie; mais ce n’est pas là tout encore, mais ce n’est pas là le plus affreux.

En implorant la grâce de Fitz-Harris j’avois eu, chose flatteuse et fort honorable, le don de plaire à madame Putiphar; en un mot, j’avois fait son avantageuse conquête. D’abord je m’étois refusé à croire à tant de succès malgré ses manifestations non équivoques; mais cette nuit mes doutes scrupuleux se sont envolés à tire d’aile pour faire place à la plus solide conviction.

Mon rendez-vous d’hier au soir n’étoit rien moins qu’une partie fine, un souper fin, un bec-à-bec, un duel d’amour. Tout étoit parfaitement combiné pour ma séduction: rien ne manquoit au guet-apens. Je ne sais vraiment comment ma vertu a pu s’échapper saine et sauve à travers tant de pièges, de filets, de traquenards, de collets, de miroirs, de pipeaux, de nasses et de gluaux. Je surmontai tout, je résistai à tout: ma résistance négative l’enflamma: elle voulut me forcer comme on force une fille d’honneur. Peine vaine! je demeurai inexpugnable. Dépitée, ses chaudes amours se métamorphosèrent en colère, en rage, en fureur; elle sonna et fit monter quatre laquais pour me jeter à la porte; mais, grâce à mon épée, j’ai fait une sortie plus triomphante.

Je le sens bien, mais la droiture de mon cœur ne m’a pas laissé libre de ma conduite, j’ai fait à madame Putiphar un de ces affronts que les femmes ne pardonnent jamais: à plus forte raison elle, si haineuse, si rancunière, si vindicative, si inhumaine. Non-seulement je lui ai fait un affront, mais je l’ai bravée dans sa colère; je l’ai narguée; je lui ai rendu sarcasme pour sarcasme. Sans nul doute ma perte est jurée maintenant; je suis un homme détruit, je suis sous le poids de son ressentiment, et son ressentiment est toujours terrible. Cette femme a tout pouvoir en main, tout se ploie à sa parole; elle n’a qu’à daigner faire un signe, et sa volonté est faite; elle n’a qu’à dire, cet homme me gêne, et cet homme disparoît du monde ou de la scène du monde.

Ce qu’il y a de plus fatal pour moi, c’est qu’elle connoît le jugement de mes juges d’Irlande et ma condamnation. Dans son emportement, elle m’a poursuivi du mot de contumax, et m’a rappelé le gibet de Tralée.

Comment cela est-il déjà parvenu à ses oreilles? Il faut qu’elle ait une police bien active, des espions bien aux écoutes, ou plutôt qu’elle en ait été informée par M. de Villepastour: plusieurs choses qui lui échappèrent dans la conversation me porteroient à le croire avec assez de fondement. Elle avoit des projets sur moi; elle sera allée aux renseignements, comme on fait lorsqu’on veut mettre un garçon en ménage.

Grâce à cette circonstance, elle pourra, ce n’est pas qu’elle y tienne, masquer sa vengeance d’un masque honnête; elle pourra sévir contre moi avec plus d’effronterie, sinon avec plus de rigueur.

Tu pleures, Déborah!... N’aie pas peur, mon amie, ne t’effraie point: je ne cherche pas à nous dissimuler le péril où nous sommes; mais quelque proche et quelque imminent qu’il soit, il n’y a pas lieu à désespérer. Devançons le mal qu’assurément on nous prépare dans l’ombre. Sans retard quittons cette ville, fuyons: fuyons! c’est là notre seule ressource, mais elle est infaillible. Il est facile encore de nous soustraire; il ne faut pour cela qu’une prompte détermination et du courage; nous avons l’un et l’autre. Ne pleure pas, ne t’affecte pas, ma bien-aimée; prends confiance en Dieu, qui nous envoie cette tribulation; sa bonté est un océan, n’ayons pas le ridicule de vouloir la sonder avec notre courte intelligence. A qui a-t-il été donné jamais de comprendre ses desseins? Qui sait si le malheur n’est pas un bienfait caché? Qui sait si le pire n’est pas le précurseur du mal, si le mal n’est pas le précurseur du bien, si le bien n’est pas le précurseur du mieux?

—Je te remercie, Patrick, des soins que tu apportes à me consoler, lorsque toi-même as l’esprit plein de désolation. Je te sais gré des efforts que tu as faits tout-à-l’heure pour prendre légèrement, indifféremment, une douloureuse et funeste aventure; tes souffrances ont transpiré à travers ton faux enjouement, et ton sourire contraint m’a fait mal à voir comme un spasme.

Tu ne veux pas que je pleure, Patrick, tu veux, cela est-il possible? que je demeure froide aux maux qui t’accablent, et dont je suis la source, car c’est encore de moi que te viennent tes nouvelles infortunes.

—Toi, Debby, la cause de mes infortunes! quelle folie!...

—Oui, sans moi, sans l’amour que tu crois me devoir, tu te serois laissé aller à la passion que ta beauté, que tes grâces, que ton bien-dire avoient fait naître si violemment en cette femme; au lieu d’être aujourd’hui poursuivi de sa haine, tu serois son jeune favori; tu goûterois à toutes les voluptés, à touts les plaisirs raffinés d’une Cour somptueuse; tu serois le plus honoré et le plus caressé de Versailles; à tes pieds bourdonneroit la troupe flatteuse des courtisans qui viendroient becqueter dans tes mains les faveurs de ta maîtresse. Gloire, fortune, titres, joies, tu aurois tout acquis, tout conquis: ton avenir seroit fait, ton avenir seroit beau! C’est moi qui t’ai détruit tout cela! c’est encore pour moi que tu es immolé!...

—Vous venez, Debby, de me supposer deux sentiments, l’un me rend glorieux et l’autre me fâche tout-à-fait. Il est vrai que pour vous, comme vous m’avez fait l’honneur de le pressentir, je repousserois la femme la plus belle du monde, la plus riche, la plus puissante, l’intrigue la plus avantageuse et qui me feroit le sort le plus brillant; mais il n’est pas vrai, pardonnez-moi cette dureté, que sans vous je me fusse laissé aller à cette Putiphar, que je lui eusse vendu ma jeunesse pour la distraction de ses remords, mes baisers au poids, au marc d’argent, et ma pauvreté, dont je suis fier, pour une opulente infamie. Je ne nie pas que vous ayez développé le bon de mon cœur, que votre amour exquis ne l’ait ennobli; mais j’ai la présomption de penser qu’il y avoit en moi assez de noblesse native pour que, sans vous, sans votre influence, je n’eusse pas été vil et méprisable.

—Vous êtes acerbe avec moi, Patrick.... Veuillez croire que je sais vous estimer; je ne suis point assez impertinente pour me supposer l’auteur de votre délicatesse et présumer que sans vos rapports avec moi vous eussiez été un malhonnête homme; mais, sans fatuité, il m’étoit bien permis de penser que, livré à vous-même, sans liens, sans serments, sans dilection emplissant votre cœur, placé dans la fatale alternative où vous vous êtes trouvé, vous auriez pu préférer manquer à l’exigence de vos vertueux principes et forcer votre répugnance plutôt que de faire un affront sanglant à cette Frédégonde, dont la haine n’est pas d’un assouvissement facile. Eussiez-vous donc été si coupable de préférer des débauches aimables, du faste, des honneurs, à des persécutions cruelles? jeune comme vous l’êtes, de préférer la Cour à un cachot! la vie à la mort, peut-être!

Quoi que ta bonté puisse me dire, elle ne pourra m’ôter la conviction que c’est moi la source unique et funestement féconde de touts tes maux: si tu viens d’être expulsé ignominieusement des Mousquetaires, n’accuse que moi, c’est encore moi la cause de cet atroce supplice; ce n’est point une folie! écoute: Il est une chose que, jusques ici, j’avois cru devoir te taire pour ne point détruire la paix de ton âme, pour ne point te mettre de trouble en l’esprit et de colère au cœur; tu me pardonneras ce silence, qu’il étoit de mon devoir de garder comme il l’est aujourd’hui de le rompre.

Tu ne savois à quoi attribuer le changement survenu tout-à-coup chez M. de Villepastour, son empressement à s’emparer de la lettre de Fitz-Harris, son acharnement à te trouver coupable, à te condamner à la dégradation, à te chasser de sa Compagnie? tu ne savois comment t’expliquer son inhumanité envers toi, qui, si long-temps, avois été l’objet de sa prédilection et de sa protection? tu ne savois d’où pouvoit venir la joie qu’il sembloit goûter à te punir et l’esprit de vengeance qui sembloit l’animer contre toi? Eh bien, Patrick, tout cela venoit de moi seule!... Où, comment et pourquoi, je ne sais; depuis quelque temps il s’étoit épris de désirs et de passion brutale pour ma personne et il me poursuivoit sans cesse de ses honteuses propositions....

—Grand Dieu! que dis-tu? lui, aussi, infâme!... Grand Dieu, n’as-tu donc plus de colère!...

—Ici même, là, sur ce sopha, il m’a livré plusieurs fois d’impudents assauts, il m’a violenté; mais, grâce à Dieu, grâce à mon courage, je l’ai vaincu, je l’ai chassé plein de dépit et de ressentiment, et c’est sur toi qu’il a passé sa rage, et c’est sur toi qu’il s’est vengé!

—Le lâche!...

—Maintenant, tu dois comprendre ces cris d’étonnement que je jetai lorsque tu me conduisis à lui; tu dois comprendre mon emportement et mes invectives contre ce monstre de luxure qui se posoit en juge austère et qui faisoit avec toi de la religion et de la majesté.

Maintenant, tu dois comprendre l’empressement que j’ai mis à accepter ton projet de départ: pouvois-je accueillir indifféremment un moyen si opportun de mettre fin à une intrigue qui commençoit à m’effrayer, qui m’enveloppoit, qui se jouoit de ma résistance et de moi; lutte pénible dans laquelle je pouvois succomber, dans laquelle j’avois tout à perdre, soit que par générosité je te la tinsse secrète, soit que je t’appelasse à mon secours. Ton esprit honnête ne peut se faire une idée de cet homme, d’autant plus redoutable qu’il est têtu; c’est un de ces déterminés pour lesquels il n’est rien de sacré que leurs désirs, et que ni prières, ni pleurs, ni pitié, ni foiblesse, ni justice, ni honneur, ne sauroient toucher et arrêter.

Oui! oui! Patrick, partons, partons en toute hâte! tu as bien résolu; ne demeurons pas plus long-temps en cette Babylone, en cette Capoue; nous nous sommes fourvoyés, nous n’avons que faire ici.—Il faut hurler avec les loups, qui bêle parmi eux sera leur proie!

—Ne crains pas, chère Déborah, que ma détermination s’ébranle; aujourd’hui que je sais que nos ennemis nous sont communs et peuvent se liguer pour mieux nous perdre; aujourd’hui que je te sais mère et que ma tutelle a doublé, aujourd’hui que nous ne nous devons plus à touts les deux seulement, mais au fils que Dieu nous envoie.

Partons, allons chercher au loin une terre moins dissolue, où, si les hommes n’y sont pas meilleurs, au moins y sont-ils moins puissants; une terre où nous n’aurons point à rencontrer d’hommes de notre patrie, de Fitz-Harris, qui viendroient divulguer mon infortune, m’appeler contumax et me reprocher mon gibet de Tralée; où nos enfants n’auront jamais à rougir de leur père et ne seront point flétris de sa flétrissure. Vois-tu même, pour leur faire perdre toute trace de leur origine, nous changerons de noms et nous les tromperons sur le pays de leurs ayeux.

Pour accomplir de pareils desseins il faut une force, une volonté, un courage rare: mais Dieu nous l’a donné ce courage.

Ceux qui en ont eu assez pour s’arracher du toit où ils étoient nés, pour s’arracher aux bras de leur mère, aux rives du lac de Killarney, aux solitudes de Kerry, en auront encore assez pour renoncer au monde, pour divorcer avec tout ce qu’ils avoient connu jusque là, pour renoncer à ce qu’ils ont été et à ce qu’ils pourroient être, pour aller demander une part de soleil, de terre et de fraternité à une de ces peuplades ignorées que la société d’ici appelle sauvages.

Nous puiserons alors en nous-mêmes et dans la nature sublime qui nous entourera des joies et des consolations qui compenseront touts nos sacrifices, qui compenseront toutes nos renonciations, et nous ne demanderons plus à la société des plaisirs faux pour nous étourdir sur les maux qu’elle fait.

La haine est vigilante; sans délai mettons à exécution notre départ. Il faut, Déborah, que demain ne nous trouve plus ici.

—Ordonne, mon ami, je suis prête à te suivre en touts lieux.

—Avant qu’il soit plus tard, huit heures viennent de sonner à l’Abbaye, je vais courir aux Messageries; je retiendrai n’importe quelles places, dans n’importe quel carrosse, pourvu qu’il parte au point du jour, et se dirige vers le midi. Nous nous rendrons à Marseille, ou à Gênes, ou à Livourne; et là nous nous embarquerons pour le lieu de l’univers que nous aurons choisi.

—Va, mon Patrick, et reviens promptement. Montre-toi le moins possible; couvre-toi de ton manteau.—Pendant ce temps, pour distraire mon inquiétude, je préparerai toutes nos valises, que nous clorrons à ton retour. Va, veille bien sur toi, et que Dieu t’accompagne.

—Un baiser, Debby?

—Non, cela donne à la plus brève séparation l’air d’une longue absence. Sois prompt, et tu l’auras au retour.

—Ta main au moins, mon amie?

—Non, tout au retour.

—Partir! sans avoir baisé ce front qui pense à moi, ces mains qui me caressent, Debby; oh non! tu ne le voudrois pas! Cela me porteroit malheur.—On dit que le fer n’entre pas où se sont posées les lèvres d’une amante.

—Oh! alors, que je t’embrasse partout, Patrick, laisse-moi, que je te rende invulnérable! Laisse-moi que je te baise sur la place du cœur.

Déborah s’étoit jetée au col de Patrick; elle l’étreignoit avec passion; elle écartoit, elle ouvroit ses vêtements, et promenoit sa bouche accolée sur sa poitrine.

—Va, pars, maintenant, je suis sans crainte; je t’ai couvert de talismans.

A peine Patrick venoit-il de sortir, à peine la porte de l’hôtel s’étoit-elle refermée sur lui, qu’un bruit confus et des cris répétés au secours! à l’assassin! frappèrent l’oreille de Déborah.

Elle ouvrit précipitamment la fenêtre, et elle reconnut la voix de Patrick et des cliquetis d’épées.

Mais dans la profondeur de la rue obscure elle ne distinguait rien.

Une idée soudaine jaillit en son esprit: elle arracha un rideau, l’embrasa au flambeau, et le jeta par la croisée; sa chute l’enflamma encore; il éclairoit horriblement le lieu de la scène.

Elle apperçut quatre hommes acharnés sur Patrick, quatre fers étincelants dirigés sur sa poitrine; il se défendoit comme un lion.

Déborah à ce spectacle poussa un cri déchirant, et appela Patrick.

—Adieu, Debby, adieu!... Je suis perdu, lui répondit-il!... Adieu pour la vie! Debby, songe que tu es mère!...

—Oui! d’un fils qui te vengera!

Courage, tiens bon; frappe, frappe! je vole à toi, je descends!...

A ce moment Patrick recevoit un coup d’épée dans les reins, et tomboit la face sur le pavé.

Tout cela se passa avec la rapidité de l’éclair.

Quand Déborah sortit à la tête des gents de l’hôtel, le rideau, brûlant encore, jetoit une foible lueur; la rue étoit silencieuse: personne!...

Seulement, dans l’éloignement, un carrosse fendoit l’air.

Elle voulut s’élancer à sa poursuite: mais l’effroi l’avoit brisée, elle tomba évanouie.

Dans sa chute elle heurta et fit sonner un fer; c’étoit une épée ensanglantée: celle de Patrick.

On ramassa l’une et l’autre.

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