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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XL.

Suis-je donc l’aquilon, que je courbe ainsi les fleurs? Relevez-vous, mylady, et permettez à mes lèvres de restituer à votre bouche touts les baisers infidèles que, dans la tristesse de l’absence, elles ont prodigués à cette effigie, qui loin de vous brilloit sur ma poitrine comme une étoile dans l’ombre, et qui vient de s’évanouir devant le soleil de vos charmes.

Qu’il me tardoit d’être à vous! qu’il me tardoit d’être débarrassé des affaires diplomatiques, et surtout insipides, qui me retenoient aux frontières quand mon âme étoit auprès de vous.

Enfin, je vous vois, je vous presse en mes bras; je vous parle d’amour; je suis heureux!

Vous êtes généreuse, mylady, vous comprenez à quoi peut entraîner l’excès de la passion; vous me pardonnerez ce qu’il y a pu avoir de tyrannique dans ma conduite envers vous. Je vous ai ravie au monde; je vous ai faite ma prisonnière: c’est mal! très-mal! mais je vous aime tant! Toute ma vie désormais sera une expiation.

Vous avez dû sans doute vous ennuyer beaucoup dans cette morne demeure?

—Je languissois. J’espérois ardemment après votre venue.

—Naïve enfant! Mais quelle est donc cette écharpe noire que vous avez au bras?

—C’est le deuil de Patrick, mon époux infortuné; de mon époux, qu’on m’a assassiné la veille de mon rapt. Et qui me l’a assassiné? un marquis de Villepastour, un capitaine du Roi; parce que je n’avois pas voulu de lui, et la concubine du Roi, parce qu’il n’avoit pas voulu d’elle! C’est une abomination! Monsieur, j’attends de vous justice. Ah! vous me vengerez!

—Je ne suis pas puissant.

—Vous parlez au Roi, vous le lui direz!

—Et le Roi me répondra:—Que ces dames gardent mieux leurs amants, si elles y tiennent. D’ailleurs, pour un de perdu deux de retrouvés. Je n’y puis rien. Quand un chien est égaré on l’affiche; quand il est mort on n’en parle plus.

—Fi, monsieur! vous le calomniez, le Roi! Le Roi est justicier; il a le cœur droit et la parole noble; le Roi hait le crime et le punit.

—Je suis flatté de l’opinion avantageuse que vous avez de lui. Soyez tranquille, vous aurez satisfaction. Mais oublions un moment toutes ces choses pénibles: j’ai l’esprit ombrageux, la moindre pensée sombre m’affecte et m’emplit de terreur. La mélancolie est un poison et la joie un élixir.

Venez, Déborah, venez, mylady; venez sur ce sopha, et causons d’amour.

Laissez vos mains dans les miennes, et laissez-moi m’asseoir plus près encore de vous.

Vous êtes bien tout ce que j’avois pressenti, une personne divine! Je suis fou de vous! Si toutes les Irlandoises avoient votre beauté et votre grâce, et que je fusse Roi de France, je troquerois vite ma terre ferme contre votre île.

—Que Dieu préserve ma patrie d’un fléau tel que vous! Subir le joug de l’étranger victorieux, obéir à la loi du plus fort, c’est un malheur! Mais avoir pour maître un mauvais homme sorti du sein de la nation, ou choisi par elle, c’est un opprobre!

—En vérité, mylady, vous me faites trop d’honneur de me croire un fléau; quand vous me connoîtrez plus, assurément vous m’estimerez moins.

Oh! ne bougez pas de comme cela! la tête ainsi penchée, vous êtes ravissante. Que vos épaules sont blanches et belles! Oh! j’ai besoin de toute ma civilisation pour ne les dévorer que de baisers. Avec ces épaules-là, ma mignonne, je ne vous conseille pas d’échouer à l’île de Tovy-Poenammou.

Ce sont de vrais pièges à hommes que ces robes ainsi décolletées. Certes, les robes décolletées sont bien, mais des collets dérobés seroient encore mieux; ce seroit à coup sûr plus commode. Je n’aime pas les obstacles; mais chez nous on a la manie des enveloppes; et une femme seroit mal réputée si elle n’étoit pas enveloppée de linges comme une plaie.

Dernièrement deux belles dames descendirent de carrosse et entrèrent dans le jardin des Tuileries; elles s’étoient avisées d’un moyen délicieux de satisfaire à l’usage et à la raison: entièrement nues, elles n’étoient seulement vêtues que d’une robe de la gaze la plus claire, qui laissoit apparoître leurs formes parfaites et leur bel incarnat. On les voyoit comme on voit les melons au travers de leurs cloches de crystal; cela étoit délicieux!...

De ma vie je n’ai éprouvé ce que je ressens auprès de vous; je le vois bien, l’amour véritable m’étoit resté jusques à ce jour tout-à-fait étranger. Oh! mylady, si vous saviez quelle passion votre candeur a fait éclore en mon sein, et de quel feu je brûle auprès de vous! Ma raison se trouble,... j’étouffe.... Restez, restez enlacée dans mes bras!... Cette résistance est puérile et vaine. O ma belle, mourons de plaisir!

—Arrêtez! de grâce, monsieur! N’avez-vous pas de honte! Vous jouez ici un rôle indigne de celui que Dieu vous a confié.

—Dieu m’a fait homme.

—Et vous vous faites chien!

—Vous êtes impolie, mignonne, et traitez mal ce pauvre comte de Gonesse.

—Grâce! grâce! monsieur! Je sais qui vous êtes; vous n’êtes point le comte de Gonesse;—Sire, vous êtes Pharaon!

—La belle, vous rêvez.

—Sire, ah, laissez-moi! c’est infâme! vous me brisez! Vous n’obtiendrez rien!...

C’est donc là l’hospitalité qu’une fille étrangère trouve en votre Royaume! on lui tue son époux, et puis on la traîne en un lieu sans nom, et on l’engraisse pour les plaisirs du Roi, et le Roi la viole.—Mais c’est une abomination!—Majesté, n’en crevez-vous pas de honte?—Oh! vos ayeux n’étoient pas ainsi, ils ne répandoient pas la corruption sur leur Empire; ils gouvernoient leur peuple, et vous, Sire, vous le polluez! Ne craignez-vous pas de voir surgir ici, échappés à leur sépulcre et pleurant, les ombres de saint Louis, de Robert ou de Charlemagne!...

Mais Pharaon sans l’écouter l’enveloppoit de ses bras et la courboit sous lui.

—Sire, ayez pitié de moi! Mon Dieu! pourquoi tant désirer une pauvre enfant maussade? N’avez-vous pas à votre merci les mères, les sœurs, les femmes et les filles de vos courtisans, qui hennissent après vous comme des cavales? N’avez-vous pas toute la Cour? n’avez-vous pas toute la ville? n’avez-vous pas cette maison toute pleine d’odaliques qu’on vous dresse, qui se meurent dans l’attente, qui me jalousent sans doute pour mes cris de désespoir qu’elles prennent pour des cris de bonheur? Ah! Sire, Sire, grâce! grâce!...—Vous voulez de la volupté: je ne suis qu’une ronce, qu’un buisson épineux dont les feuilles et les fleurs sont tombées au souffle de l’infortune. Je ne suis qu’une étrangère sans agrément et sans bien-dire, triste, morne, fanée, le cœur plein de fiel et de dégoût et d’abattement, regrettant ses montagnes natales, pleurant sa mère dont la fosse est encore fraîchement remuée, et son époux dont le sang fume encore.—Grâce, grâce, Sire! laissez-moi: vous demandez des plaisirs à une urne, vous demandez des caresses à un cyprès! Voyez! je suis froide et glacée comme un mort!—Pitié! pitié! humanité, Sire! mes entrailles sont pleines: ne donnez pas à l’orphelin que je porte pour mère une prostituée!...

—Ma belle hautaine, mon amour anoblit, ennoblit et ne prostitue pas. Que votre orgueil soit tranquille; allez, si l’un de nous déroge, assurément ce n’est pas vous;—car, tu l’as dit, je suis Pharaon, et je donnerois volontiers mon Royaume de France pour celui de ton cœur. Mais, non, je puis unir ces deux couronnes. Prends-moi pour amant, et touts tes rêves de félicité et de grandeur se réaliseront. Justice, vengeance, réparation te seront faites. Ton présent et ton avenir seront si beaux, qu’ils obscurciront ton passé. Je puis tout, tu le sais? eh bien, tu domineras ma puissance! Je possède tout, et tout sera pour toi! Opulence, bruit, courtisans, esclaves, fêtes, spectacles, triomphes, festins, volupté, jours de plaisirs et nuits d’orgie, parfum, musique, amour, ivresse!... tout ce que l’univers produit de suave, de précieux et d’envié viendra s’abattre à tes pieds; ton nom retentira dans le monde, et la foule à ton passage s’écrasera et battra des mains.—Tu regrettes tes montagnes, on t’en fera de pareilles.—Tu regrettes ton vieux château, on le transportera à la place que tu marqueras du doigt!...

—Se vendre pour un royaume ou pour un écu, Sire, l’opprobre est le même. Sire, vous m’outragez!—Vos séductions se noyent dans ma tristesse: je n’envie que la solitude des forêts ou la paix de la tombe. Sire, justice et protection! Sire, vous me le devez! Sire, rendez-moi la liberté et sauvez-moi l’honneur!...

—Cédez, vous serez Reine!

—Et votre épouse?...

—Je ne l’ai jamais aimée.

—Et votre concubine?...

—Je ne l’aime plus.

—Et moi, Majesté, je vous hais.

—Rien n’est si près de l’amour que la haine.

—Grâce, grâce, Sire! épargnez-moi!... Mais que faut-il vous dire?... Peut-être m’exprimé-je mal? Mes paroles sont peut-être de perfides truchemans? Je ne sais pas votre langage; je suis une pauvre étrangère. Oh! si vous compreniez la langue de ma patrie, je vous dirois de ces choses si bonnes et si douces que vous seriez attendri; mais vous êtes féroce comme un sourd qui frappe sans entendre les cris de sa victime.

—Allons, soyez plus raisonnable. La résistance est vaine, ma mignonne, et ne fait que m’embraser.—Vous finiriez par me rendre brutal!

—Majesté! ah! c’est mal de frapper et de tordre ainsi une veuve débile, une mère souffrante!—Grâce! grâce! à deux genoux, mon Roi!—Grâce! grâce! Oh! vous n’êtes pas chevalier!...

Voilà donc ce que c’est qu’un représentant de Dieu sur la terre! mon âme se révolte et ma raison s’intervertit.—Roi, vous êtes infâme! malheur sur vous et sur votre race! abomination!

—Ah! vous faites la Romaine, je me vengerai de vous, Lucrèce!

—Tarquin! quelqu’un me vengera!

—Qui?

—Dieu et le peuple.

FIN DU TOME PREMIER.

 

 

 

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