← Retour

Madame Putiphar, vol 1 e 2

16px
100%

XXII.

Midi sonnoit comme Patrick entroit au château de Versailles, dans les appartements de madame Putiphar.

La séance du conseil venoit d’être levée, et les ministres se retiroient en grande agitation.

—Il fut aussitôt annoncé et introduit auprès d’elle. Entourée d’écritoires, de rouleaux de papiers et de paperasses, elle étoit seule, en riche toilette; atournée avec ce soin recherché qui ne peut être celui de touts les jours; ce soin de parure qui trahit le premier sentiment de la jeune fille, comme le dernier sentiment de la femme.

—Monsieur Patrick, lui dit-elle avec l’air le plus affectueux, voici les lettres de grâce que votre voix et vos paroles touchantes m’ont arrachées pour M. Fitz-Harris, votre ami; si vous avez le désir de me plaire, comme j’ai celui de vous être agréable, il doit perdre à jamais ce titre qui vainement l’honore, et qui à mes yeux vous compromet gravement. Cessez, croyez-moi, toute relation avec cet insensé.

C’est la première fois que je signe le pardon d’une semblable injure: il est vrai de dire, puisque c’est pour vous que je le fais, que si c’eût été vous qui m’eussiez demandé les autres, celui-ci sans doute ne seroit point le premier.

Mon cœur, qui souffriroit de vous faire un refus, vous avoit accordé la liberté de ce petit monsieur Fitz-Harris, sans condition aucune; mais la sûreté de l’État et la mienne exigent que sous huit jours il ait quitté la France.

—Vous aviez fait une digne et large action, madame; pourquoi fallut-il qu’un remords vînt la restreindre? Mais vous avez agi selon votre sagesse, devant laquelle mon esprit se prosterne, comme je me prosterne à vos pieds.

Tandis qu’ainsi à genoux, Patrick exhaloit comme il pouvoit sa gratitude, et couvroit de baisers la robe de madame Putiphar, une voix d’homme cria d’une chambre voisine:—Pompon! le conseil est levé, je crois! ne vas-tu pas venir! tout mon déjeûner est prêt.

Puis, une porte s’entr’ouvrit.

La même voix dit alors avec un accent satirique:—Ah! pardon, madame; je ne vous savois pas occupée.

—Non, non, entrez sans gêne; il n’y a point d’étranger ici, répliqua la Putiphar, monsieur est mon ami, comme vous voyez, et tout à fait digne d’être le vôtre.

Ensuite, elle ajouta tout bas à Patrick: J’aurois encore beaucoup de choses à vous dire, mais venez demain au soir à Trianon: vous souperez avec moi. Adieu, partez.

—Ma friture est faite, reprit la même voix, et je venois pour vous faire goûter à mes œufs au jus.

Patrick alors, se relevant et se retournant pour se diriger vers la porte, fit un mouvement de surprise et une génuflexion, en appercevant Pharaon, en costume royal, cordon-bleu, croix et plaques, avec un tablier de toile blanche, une cuillère dans une main et dans l’autre une énorme casserole.

—Relevez-vous, monsieur, dit gaîment Pharaon à Patrick; et sur ce, je prie Dieu qu’il vous tienne en sa sainte-garde.

Je vois avec plaisir, Pompon, que mon image est si bien gravée dans le cœur de mes sujets, qu’ils me reconnoissent même en marmiton!

Ainsi Pharaon, pour égayer sa vie privée, toute vide et toute nulle, se plaisoit quelquefois à faire.... ma plume se refuse à l’écrire.... la CUISINE!

Sitôt que Patrick fut dehors, de grosses larmes coulèrent de ses paupières! sensible et grand, il avoit été remué jusqu’en ses entrailles, en voyant ce qu’on avoit fait de son Roi.

Et son cœur se brisa, et ses pleurs redoublèrent, lorsqu’en traversant une galerie ornée de peintures, il rencontra du regard Louis IX et Charlemagne!

Chargement de la publicité...