Madame Putiphar, vol 1 e 2
XXXV.
Il y avoit déjà trois jours que Déborah se tenoit insurgée dans sa forteresse, lorsqu’en rôdant par sa chambre elle apperçut tracés au crayon sur la boiserie, ces mots italiens: CERCA QUI, TROVERAI. Le ton mystérieux de ces paroles la frappa; il lui sembla qu’elles n’avoient pu être écrites là sans une intention formelle, et qu’elles devoient contenir un sens secret. Minutieusement elle examina touts les lambris de la chambre, pour voir si elle ne trouveroit point quelque autre phrase explicative de la première; mais n’ayant rien rencontré, elle revint à sa sentence «CERCA QUI, TROVERAI.» Cherche ici et tu trouveras.—Est-ce simplement une maxime évangélique? Est-ce une pensée figurative ou positive? CERCA, cherche. L’ordre n’est pas ambigu. QUI, ici. Est-ce en ce logement? en cette maison? en ce bas-monde? ou dans cet endroit même? TROVERAI, tu trouveras. Tu trouveras quoi? c’est là le gros du mystère; c’est là la récompense de l’esprit heureux ou subtil qui pénétrera la proposition. Cherchons donc....
Alors elle promena ses regards sur touts les alentours, en frappant sur la boiserie pour s’assurer s’il n’y avoit point quelque endroit creux qui résonneroit sous le choc. Tout-à-coup elle apperçut, juste au-dessous de l’inscription, un panneau de la frise disjoint près du parquet. Elle introduisit ses doigts dans la fissure; le panneau flexible s’entr’ouvrit; sa main passa tout entière et heurta quelque chose qu’elle saisit en tremblant et tira dehors. C’étoit simplement un petit livre italien, les rimes de Petrarca; elle en secoua la poussière, et le parcourut sans rien trouver parmi les feuillets. Quoique cette découverte lui fît plaisir, et vînt fort à point pour la distraire dans cette solitude et lui parler une langue dont elle raffoloit, elle ne put croire que ce fût là le mot entier de l’énigme, et de nouveau glissa la main derrière la boiserie, mais cette fois sans y rien rencontrer. Elle reprit son Pétrarque, et alla s’asseoir sur le sopha pour relire ses sonnets favoris. En l’ouvrant ses regards tombèrent sur la garde blanche qui précédoit le frontispice: elle étoit chargée d’une petite écriture serrée et ronde semblable à l’inscription du lambris. A grande peine voici ce que peu à peu elle déchiffra:
«Qui que tu sois, toi qui as compris le secret de mes paroles, je t’aime et je te demande ton amitié. Je souhaite que ce livre puisse te donner tout le plaisir que j’y ai puisé, et te faire oublier quelquefois le chagrin qui te ronge peut-être. Sans doute tu es ici captive comme je le fus quatre années. Demain je pars, demain je serai libre! Sans doute tu ignores quel sort t’est réservé, et l’inquiétude ne te laisse aucun repos. Va, sois tranquille; jouis en paix, ta destinée est belle, bien belle! Un valet indiscret m’a tout révélé et m’a faite bien heureuse; je veux à mon tour te faire le même bonheur: Tu as dû, comme moi, avoir été enlevée à ta famille; et l’on a dû te dire, comme à moi, que c’est un riche seigneur épris de bel amour qui te retient cachée dans un de ses manoirs, jusques à ce qu’il puisse t’épouser? Rien de tout cela n’est vrai: Tu es ici à Versailles, dans la maison du Parc-aux-Cerfs; le seigneur que tu as déjà reçu, ou que tu dois recevoir dans ta couche, est Pharaon, Pharaon lui-même! Comprends toute ta félicité. Moi, je suis enceinte de lui, enceinte d’une Majesté, quel bonheur! Pauvre Maria, qu’as-tu fait pour mériter tant de gloire? Le ciel m’a exaucée, j’ai tant prié pour avoir ce bâtard! Que le ciel t’en accorde un aussi, je te le souhaite de toute l’ardeur de mon âme! Fais semblant d’ignorer ce que je viens de te dévoiler: si l’on venoit à te soupçonner si savante tu serois perdue, ton sort brillant seroit détruit sans ressource. Cache bien ce livre et déchire ce feuillet.
»Ne m’oublie pas dans tes prières, n’oublie pas Maria-degli-Angeli, c’est le nom qu’on me donnoit à Ferrare; je ne t’oublierai pas non plus, ma belle inconnue, car tu dois être belle comme moi, puisque comme moi tu as été choisie. Que ne puis-je te donner des baisers!»
Étonnée, épouvantée de ce qu’elle venoit d’apprendre, Déborah versa beaucoup de larmes et demeura long-temps dans un triste abattement. Après de trop sombres réflexions, tout-à-coup, comme après un orage, le ciel de ses pensées s’éclaircit, et elle s’estima moins infortunée, après tout, que d’être au pouvoir du marquis de Villepastour. A la fin même il lui sembla que c’étoit une circonstance favorable et qui devoit la sauver, et elle prit la résolution soudaine de changer totalement de conduite, de faire l’enfant soumise, bonne, aimable, honorée, pour hâter autant que possible le jour de la venue de Pharaon.
Ayant arraché et déchiré en menus morceaux le feuillet du Pétrarque, qu’elle cacha prudemment dans la cheminée, elle se mit à genoux et remercia Dieu de ne l’avoir point abandonnée dans son affliction, de lui avoir fait connoître les embûches dressées sous ses pas, et le supplia de bénir la folle Maria-degli-Angeli, instrument généreux de ses volontés.
Puis elle se releva et sonna pour appeler les domestiques.—Une duègne accourut japper à la porte.—Déborah lui ordonna d’aller prier la surintendante de vouloir bien se rendre auprès d’elle.