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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXXVII.

Peu d’instants avant l’arrivée de Déborah au Parc, madame Putiphar avoit adressé cette lettre à La Madame:

«Vous recevrez sans doute ce soir, ma chère surintendante, une jeune comtesse irlandoise, nommée Déborah, que je vous envoie pour élève. Je n’ai vu que son portrait; elle m’a paru bien, très-bien. Quelqu’un qui la connoît plus particulièrement m’a donné l’assurance qu’elle a mille grâces et mille attraits, et qu’elle doit plaire à coup sûr à Pharaon. Donnez-lui touts vos soins; formez-la de suite; mon désir est qu’elle lui soit offerte avant peu. Son éducation vous coûtera sans doute beaucoup d’assiduité; j’aurai égard à vos peines, car, m’a-t-on dit, elle n’a pas le caractère aisé, et de plus, c’est une fille bouffie de vertu et à cheval sur le devoir. Il faut que vous la retourniez complétement. Ne négligez rien pour la séduire; ni flatteries, ni mensonges, ni promesses. Tâchez surtout de détruire en elle tout sentiment de pudeur. Peut-être est-elle froide par l’ignorance où elle est de touts les plaisirs qu’on puise dans la débauche; découvrez-les lui touts. Attisez continuellement en elle l’appétit de la chair en ne l’environnant que de tableaux excitants, et en ne lui mettant entre les mains que des livres corrupteurs, et des aliments prolifiques. Par ces moyens, je l’espère, vous la vaincrez et vous opérerez une heureuse révolution en son tempérament. Le jour convenu pour la première visite de Pharaon, faites en sorte de mêler à sa boisson quelques substances aphrodisiaques.

»Je vous demande pardon de vous envoyer tant de besogne. Veuillez, pour me plaire, user en cette occasion de toute la patience, de toute l’adresse, de tout l’esprit que je suis heureuse de vous reconnoître, et que vous déployâtes tant de fois.

»Agréez, à l’avance, touts mes grands remercîments.»

Pour faire réponse à cette lettre d’envoi, et informer madame Putiphar de l’insurrection de Déborah, La Madame se hâta de lui faire parvenir ce message:

«J’ai reçu avant-hier au soir, affectionnée maîtresse, votre jeune Irlandoise. Elle est vraiment jolie, je l’ai vue nue, dans le bain; son corps est beau, parfaitement fait; sa taille est élégante, le son de sa voix agréable, ses manières on ne peut plus distinguées. Assurément elle charmera Pharaon, si je puis la subjuguer; mais j’en désespère quasi. C’est une vierge alarmée et récalcitrante, il sera difficile de la dresser. En ce moment elle est en pleine rébellion. Suivant votre désir, j’avois garni son logement de figures, de tableaux et de livres obscènes; mais hier, à l’heure du déjeuner, la pudibonde ayant apperçu ces objets scandaleux, entra en si grande fureur qu’elle s’enferma et se vérouilla, et les jeta touts par les fenêtres. Mes prières, mes supplications n’ont pu ni l’appaiser, ni la décider à ouvrir. M. de Cervière vient à l’instant d’éprouver le même échec. Ni ses raisons, ni ses menaces n’ont pu l’ébranler dans sa résolution, elle s’est moquée de lui. Dépité, il a fait venir la force armée pour l’effrayer et enfoncer la porte barricadée par derrière avec des meubles; la porte et la fille sont restées inexpugnables, et mylady a déclaré que si on pénétroit par violence dans sa chambre, plutôt que de se rendre elle se précipiteroit par la croisée. J’ai suspendu le siège à ce point, et coupé court à l’ardeur belliqueuse de M. de Cervière; car, poussée à bout, la luronne auroit été capable d’exécuter sa menace. Dans une circonstance aussi périlleuse, je n’ai voulu rien prendre sur moi; j’attends donc vos conseils et vos ordres.»

Réponse de madame Putiphar.

«Prenez-la par la famine; avant peu, exténuée d’inanition, elle se trouvera dans la nécessité de se rendre à votre merci. Ayez pour elle une bonté démesurée, ne la grondez pas, ne la punissez pas. Désormais ne contrecarrez plus ouvertement ses opinions honnêtes; ne rompez plus en visière avec sa vertu. Vous ne capterez cette virago que par la ruse et le subterfuge. Ayez recours aux moyens obliques et occultes. Biaisez, dupez-la, subornez-la; mais n’entrez pas en lice avec elle.»

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