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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXV.

La fin si douloureuse de Fitz-Harris dans le puisard, après vingt-un mois de débats avec la mort, après une agonie déchirante et tenace; la perte de ce frère d’infortune, de ce compagnon d’enfance et de misère, et pour surcroît l’inefficacité de la promesse si formelle de M. de Malesherbes, promesse qui sembla n’être venue rallumer le pâle flambeau de son espérance que pour donner l’occasion à M. le chevalier de Rougemont de le lui souffler sous le nez avec son insolence et sa cruauté habituelles; la prolongation de sa captivité, qui décidément n’offroit plus que le mirage d’une plaine aride et mortelle, sans horizon et sans bornes; tout cela, toutes ces amertumes, toutes ces odieuses manœuvres, toutes ces afflictions profondes avoient fini, comme nous l’avons vu, par ébranler la raison de Patrick, qui, jusques alors s’étoit sans cesse maintenue élevée, noble et fière, qui jusques alors comme un mât robuste, n’avoit pas oscillé un seul instant au milieu des orages et des sinistres les plus sombres.

La translation du Donjon à la Bastille porta le dernier coup. Ce fut un choc, un désappointement terrible pour l’âme de Patrick, qui s’étoit encore ouverte naïvement à l’espoir d’une délivrance (tant l’âme du malheureux est disposée comme le faucon à venir sur le leurre le plus grossier); lorsqu’au lieu de la liberté qu’on venoit tout-à-coup de lui promettre, il s’étoit vu derechef dans une enceinte de murailles et sous la voûte d’une nouvelle fosse.

Les neuf dernières années de son séjour au Donjon, Patrick les avoit passées dans l’état d’esprit le plus veule et le plus morne, abymé en Dieu et abymé dans la prière. Cette dévotion extrême s’exagéra encore. Il rompit alors entièrement tout commerce avec les hommes. Sourd à toutes questions, n’adressant aucune demande, se défendant rigoureusement toute parole, il ne s’entretint plus qu’avec le Ciel. A genoux ou accroupi, pelotonné pour ainsi dire autour de son Christ, il demeuroit sans cesse dans la triste immobilité d’un loir engourdi. L’obligeoit-on à sortir de son cachot pour aller respirer un peu sur les terrasses des tours, il s’asseyoit tristement sur l’affût d’un canon et n’en quittoit plus. Quelquefois, après avoir suivi long-temps du regard un ramier qui voloit librement au haut des airs, son cœur se gonfloit et il se prenoit à fondre en larmes. Il avoit alors dans le cœur un besoin si réel et si impérieux d’isolement et de mystère qu’il ne s’adressoit même jamais à Dieu, comme s’il eût oublié tout-à-fait la langue qui se parloit autour de lui, que dans l’idiôme de sa chère et malheureuse patrie.—«O thiarna, répétoit-il souvent en se prosternant contre terre, dean trocaire ormsa morpheacach!»

Certes, Patrick avoit reçu du Ciel une âme forte, un esprit solide; mais tant de douleurs l’avoient abreuvé, tant de souffrances l’avoient épuisé.... Hélas! qui de nous n’eût pas succombé comme lui sous le faix d’une pareille peine, et l’horreur d’une éternelle prison!... Quand on songe, ô mon Dieu! rien qu’à cette pensée mon sang se glace dans mes veines, qu’il y avoit, à l’heure où nous sommes, vingt-cinq ans dix mois et onze jours qu’arraché au monde, à la liberté, à son amie, Patrick avoit été chargé de fers et habitoit l’ombre mortelle des cachots!

Pauvre martyr!!!

Mais tandis que Patrick s’éteignoit dans ce calme et qu’un silence sépulchral régnoit au fond de sa prison, de grandes rumeurs s’élevoient au dehors. Toute une nation s’agitoit comme une armée; tout un peuple parloit et s’enivroit au bruit de ses propres paroles; et dans son ivresse et son abêtissement, ce troupeau d’esclaves crioit:—«Nos bergers sont velus comme nous! prenons des ciseaux! si nous tondions un peu nos bergers!»

Patience! encore quelques jours.... Et quand nous descendrons notre seau dans le puits, il remontera plein de sang! Et quand nous chercherons une pierre pour reposer notre front, ou notre vieux père pour le guider dans les ténèbres, notre main ne rencontrera partout que des poitrines ouvertes et des têtes coupées!...

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