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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXIV.

Lorsque le vase de la colère de Dieu est plein, une larme de femme,—et le vase déborde!

Le roi Don Rodrigue força Florinde, et il perdit l’Espagne!

Pharaon força Déborah, et il perdit la France!

Ce n’est pas que sur une faute isolée Dieu se résolve jamais à rayer un empire,—mais c’est qu’il est temps enfin de porter la hache sur une nation lorsqu’elle en est venue à ce point d’ignominie, que d’avoir pour maître un homme qui pratique le crime ou qui l’organise!

Florinde en appela à son père, et son cri de vengeance trouvant un horrible écho dans le cœur du comte Julien, celui-ci, égaré par un soin farouche de son honneur, en appela aux Maures, et leur livra traîtreusement la clef de sa patrie!

Mais Déborah, plus sage que Florinde, la Cava! ainsi que la nommèrent les Maures eux-mêmes, c’est-à-dire la Mauvaise! comme nous l’avons vu, s’en remit simplement au peuple et à Dieu!—Des philosophes étoient déjà suscités, et le peuple déjà buvoit avidement le venin qu’ils suintoient;—la France, assise alors sur son arrière-train comme une bête vorace, fouilloit déjà du museau dans ses propres entrailles et se mâchoit le cœur!

Ainsi finit en France, ainsi finit en Espagne, la domination des rois Goths,—de los Godos!

Hélas! au temps funeste où voici que notre esquif aborde, pareille au roi Don Rodrigue après la bataille, chassée de sa tente royale, seule et pitoyable, si abattue qu’elle en avoit perdu le sentiment, mourante de faim et de soif, si teinte de sang qu’elle sembloit un brasier, portant des armes bossuées, brisées, jadis de pierreries, une épée faite scie sous les coups qu’elle avoit reçus, un casque fracassé, enfoncé dans sa tête, la face couverte de poussière, image de sa fortune tombée en poudre, sur son cheval Orelia, harassé, poussant à peine sa respiration courte, baisant parfois la terre, la MONARCHIE s’en alloit par les campagnes de Xerez,—nouvelle et pleurante Gelboé!—s’enfuyoit avec de tristes spectacles sous les yeux, avec la peur dans l’oreille et un grand bruit de guerre confus; craignant tout, redoutant tout, ne sachant que faire de son regard: le lever au ciel, le ciel étoit gros de colère! le jeter sur la terre, la terre n’étoit plus sienne, elle étoit foulée, elle étoit aliénée! le plonger dans soi-même, dans ses souvenirs, dans son âme: un plus grand champ de bataille encore s’y trouvoit!...

La tête gonflée par la peine qu’elle enduroit, comme le roi Don Rodrigue, elle monta aussi, vers la fin du jour, sur le sommet de la colline; et de là, cherchant ses gents vaincus, ses bannières, ses étendards gisants, et que la terre couvroit, ses capitaines disparus, son camp trempé de sang qui couroit par ruisseaux, triste de voir ce désastre, en proie à sa douleur profonde, les yeux baignés de larmes, elle s’écria comme lui:—Hier j’étois reine d’un royaume, aujourd’hui pas une ville!—Hier villes et châteaux, aujourd’hui rien!—Hier des serviteurs, aujourd’hui personne!—Maintenant je n’ai pas un créneau que je puisse dire mien!—Maudite soit l’heure où je naquis, où j’héritai d’une si grande seigneurie, puisque je l’ai perdue, puisque j’ai tout perdu en un jour!—O malheureuse! si ceci tu l’eusses fait en d’autres temps, si tu eusses fui de tes désirs au pas dont maintenant tu vas! si aux assaults de la passion tu n’eusses pas montré une lâcheté indigne d’une Gothe, et plus encore d’une reine qui gouverne, la France jouiroit de sa gloire! et de cette formidable puissance qui là, sur le sol, gît et change la couleur de l’herbe!—Maudits soient l’instant et l’heure où mon destin me donna au monde!... Mamelles, qui me donnâtes du lait, que ne me donnâtes-vous plutôt le sépulchre!...—O mes ennemis! ô vous les vengeurs dont Dieu se sert! oh! tuez-moi à coups de poignard, et bien vous ferez!... Mais le traître est un couard, jamais il ne fait une bonne action!

Puis son cheval Orelia étant tombé mort, étendue entre ses jambes, elle fit aussi, comme le roi Don Rodrigue, en attendant que se dissipassent les ténèbres, un oreiller de ses arçons, en disant: Adios, España, que el barbaro señorea!... Adieu, France, que la barbarie seigneurise!...

Auprès de son Orelia chéri ainsi elle attendit la lumière ennemie.

Puis encore, comme le roi Don Rodrigue, qui s’enferma vivant dans la tombe, la couleuvre du remords la dévora, et, dans l’excès de ses tortures,—son cœur fournissant de l’eau à ses yeux qui pleuroient, ses yeux à sa bouche qui buvoit des larmes,—comme lui encore elle cria:—Mords-moi, couleuvre! achève-moi! découvre-moi la face de la mort!...—Hélas! mon déshonneur sera éternel! la renommée me maintiendra pour mauvaise, comme elle en maintient d’autres pour bons! Oh! si la renommée, la mémoire, le monde, pouvoient devenir muets! les chroniqueurs aveugles, afin que ceci ne fût pas écrit!...—Oh! si ma vie s’achevoit! oh! si la mort venoit!... Mais je crois que je suis si méchante que la mort même ne me veut pas!—déjà pourtant mon haleine s’affaisse! déjà pourtant mes dents se serrent! Déjà pourtant ma langue inerte et pendue darde la pointe!... Mords-moi, couleuvre, achève-moi! découvre-moi la face de la mort!...

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