Madame Putiphar, vol 1 e 2
XXXII.
Mais voici une chose qui nous touche plus vivement encore, madame, et que je ne sais comment vous dire! J’ai peur de faire éclater dans votre cœur tout à la fois des sentiments trop violents et trop divers....
Dans la même journée qui vit périr si cruellement M. le marquis de Gave de Villepastour, on trouva, le fait est positif, à ce qu’il paroîtroit au fond d’un cachot, dans la Bastille, après que les insurgés s’en furent emparés et eurent passé par les armes les traîtres qui y tenoient garnison, un prisonnier, horrible chose! couvert d’une longue chevelure et d’une longue barbe, avec des ongles comme un lion, et réduit par la souffrance à l’état d’un squelette.—Le peuple dans l’ivresse de son triomphe, a promené pendant plusieurs jours cet infortuné par toute la ville; l’a montré dans touts les lieux publics comme l’irrécusable victime d’un ordre de choses qui doit à jamais cesser d’être!... Eh bien! cet homme, madame!... oh! je n’ose vous le dire!... eh bien! ce doit être quelqu’un qui vous est cher et que vous croyez descendu dans la tombe, un homme, madame, que nous avons bien cherché, mais en vain; la tyrannie a des gouffres si sombres!—Comprenez-vous, hélas! madame, qui ce peut-être que cet infortuné?... Oh! aidez-moi, je ne puis seul vous enfoncer en même temps un tel poignard et une telle joie dans le cœur!
Mais Déborah, sous le coup d’une émotion trop forte, demeuroit là regardant fixement, et sans pouvoir trouver une parole.
—Eh bien, madame, cet homme, cet infortuné, c’est lui! c’est votre malheureux époux! nous n’en pouvons douter!...
—Patrick!... reprit Déborah, tombée tout-à-fait dans la surprise la plus tragique.
—Oui! madame, Patrick!... Tenez! voyez!—Cet homme déclare se nommer Whyte, ou Fitz-Whyte, ou quelquefois Phadruig. On ignore absolument qui il est, et depuis combien de temps il étoit détenu dans cet abyme. Il a été impossible de rien apprendre de lui-même. Seulement, comme il parle fort bien l’anglois et une autre langue inconnue, tout porte, dit-on, à croire qu’il doit être né en Irlande.
Déborah n’y tenoit plus! Dans le trouble qui la tuoit, se jetant à genoux, les bras étendus vers le ciel, à travers des sanglots et des rires de joie:—Merci, ô mon Dieu! s’écria-t-elle, merci, toi qui veux bien enfin me le rendre!!!—Patrick! Patrick, ô mon Patrick!!! Qui eût dit que je dusse te revoir!...