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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXVIII.

Patrick, de son côté, passa cette nuit dans une grande agitation, mais qui n’avoit ni la même source ni le même caractère.

Après avoir été éconduit si brutalement de Trianon, au lieu de rentrer dans la ville, où, à cette heure avancée, il n’eût point trouvé d’auberge ouverte, il se résigna très-volontiers à errer dans la campagne en attendant le jour.

Ayant pris à l’aventure un chemin, il se trouva, après un peu de marche, sur la lisière d’un bois où il s’enfonça avec ce saint frémissement qui saisit toujours une âme rêveuse pénétrant dans un lieu profond, sombre, silencieux; et il alla s’asseoir sous un orme touffu, dont les branches, inclinées jusqu’à terre, formoient un pavillon de verdure sur le bord escarpé d’un étang.

Perdu dans l’obscurité sous ces branchages il se plaisoit à voir passer et folâtrer, et brouter autour de lui dans une sécurité parfaite, les lièvres, les biches, les chevreuils; il ressembloit à ces frontispices de fables où se voit Ésope, Phèdre ou La Fontaine, environné de bêtes en familiarité.

Quand son esprit n’étoit point dissipé par un follet glissant à fleur d’eau, par un effet de lune à travers le feuillage, par la société de quelque fauve, ou par le chant de quelque oiseau nocturne, il tomboit dans une grande tristesse.

A peine au tiers de la vie, comme un voyageur lassé, déjà il faisoit halte, et se retournoit pour mesurer la route qu’il avoit parcourue. Il se sondoit pour voir ce qu’il lui restoit de force pour achever son douloureux pélerinage.

Touts ses maux, toutes ses douleurs, toutes ses peines, toutes ses fatalités lui revenoient en foule à la mémoire. Il essayoit de les peser avec ses joies et ses bonheurs, mais en vain; les poids étoient trop inégaux.

Son passé étoit horrible; et son présent douloureux ne lui promettoit rien de bon pour l’avenir.

Mon Dieu! mon Dieu! s’écrioit-il dans son désespoir! Que ne m’avez-vous fait semblable à ces hommes qu’on appelle méchants! Au lieu d’être ici à gémir, solitaire, je m’abreuverois de plaisir et de volupté dans les bras d’une espèce de reine; et, demain, au lieu d’être courbé, comme je le serai sans doute, sous le poids de son ressentiment; au lieu peut-être de voir retomber sur moi la trappe d’un cachot, je monterois quatre à quatre les degrés de la fortune.

Mon Dieu, ne seroit-il pas possible que je pusse être heureux sans changer de sentiments?

Mon Dieu, que me réservez-vous donc en l’autre vie pour me faire celle-ci tant cruelle?

Puis, quand il avoit beaucoup pleuré, il se consoloit, comme cherchent à le faire touts les malheureux en comparant leurs misères à des misères plus affreuses. Sa dernière infortune surtout lui paroissoit bien légère lorsqu’il songeoit au roi Lear, ce bon vieillard, jeté par ses enfants dénaturés à la porte de son palais; durant une nuit orageuse, sans abri, errant dans la campagne, à demi-nu, transi de froid; son front chauve et ses cheveux blancs battus et trempés par la pluie.

Dès l’aube du jour il rentra dans Versailles où, sur la place d’armes, il apperçut le coureur de madame Putiphar qui partoit en dépêche.

De retour à la caserne, il donna ses ordres à son brosseur, et se jeta sur son lit pour prendre enfin un peu de repos.

Son sommeil fut peu long, son réveil peu affable: au nom de M. le capitaine, sans motiver autrement son arrestation, on vint l’arracher de sa chambre pour le mettre au cachot et au secret.

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