Madame Putiphar, vol 1 e 2
XXIII.
Quand je pris la plume pour écrire ce livre j’avois l’esprit plein de doutes, plein de négations, plein d’erreurs;—je voulois asseoir sur le trône un mensonge,—un faux roi! Comme le peuple, sujet à la démence, pose quelquefois le diadème impérial sur un front dérisoire, et que devroit plutôt fleurdelyser le fer rouge du bourreau, je voulois ceindre du bandeau sacré une idée coupable, lui mettre une robe de pourpre, lui verser sur le chef les saintes huiles,—l’élever sur le pavois ou sur l’autel,—la proclamer Cæsar ou Jupiter—et la présenter à l’adoration de la foule, qui a moins besoin de pain que de faux dieux, que de faux rois, que de fausses idées, que de phantômes!—Mais je ne sais par quelle mystérieuse opération, chemin faisant, la lumière s’est faite pour moi.—Le givre qui couvroit ma vitre et la rendoit opaque comme une gaze épaisse, s’est fondu sous des rayons venus d’en haut, et a laissé un plus beau jour arriver jusques à moi.—Où l’eau étoit bourbeuse, j’ai trouvé un courant limpide.—A travers les roseaux j’ai plongé jusque sur un lit du gravier le plus pur, sillonné par l’ombre fugitive des poissons argentés qui passent entre deux ondes comme un trait,—comme une barque qui a mis toutes voiles dehors,—comme une navette qui courroit sans repos de la main droite à la main gauche, de la main gauche à la main droite de Neptune.—Le brouillard s’est déchiré, et la cîme des monts, pareille à une armure gigantesque dorée par les flammes du soleil, au fond de la gerçure ouverte dans la brume, s’est offerte à mes yeux.—Au travers de cette vapeur d’eau bouillante, mon regard a philtré, et la ville assise sur la colline et la forêt étalée dans la plaine, qu’elle céloit, m’ont enfin apparu dans toute leur beauté.
Oui! il y a un Destin!
Oui! il y a une Providence pour l’Humanité et pour l’homme!
Non! les méchants ne triomphent pas sur la terre!
—Non, sur la terre chacun reçoit le salaire de ses œuvres.
Non, il n’y a pas besoin d’une seconde vie pour redresser les torts de la première,—pour faire la part du juste, et refaire la part du méchant.—Rien ici-bas ne demeure impuni!
Non, il n’y a point de désordre dans le gouvernement du monde!
Non, les bons ne payent point pour les mauvais,—la vertu pour le vice!
Non, il n’y a point d’hommes qui soient donnés en proie aux hommes sans que Dieu n’en ait la raison.
Les bons qui souffrent ne sont des bons qu’en apparence, ou si ce sont des bons réels,—comme le fils du mauvais peut être juste,—c’est qu’ils expient les torts de leur race.
Oui, je crois à l’expiation!
Non, la destinée fatale originelle n’est point une atrocité! mais une loi sublime!
Dieu est un Dieu vengeur!
Sa vengeance est quelquefois invisible, souvent elle est longue et tardive, mais elle est sûre!—Dieu a devant lui l’espace; rien ne le presse; rien ne lui fait un devoir de punir le prévaricateur dans soi-même plutôt que dans la postérité qui doit sortir de son flanc.
Nous qui ne sommes que d’un jour, si la vengeance n’est pas au bout de notre courte et fragile épée, elle nous échappe!—mais rien n’échappe à l’épée éternelle de Dieu!
Cette opinion, j’en conviens, est une opinion terrible! Soit! tant mieux! Qu’elle aille trouver le crime heureux dans le bain de ses prétendues délices, qu’elle lui troue la poitrine avec sa vrille de fer, qu’elle s’y insinue, et lui fasse égoutter le cœur!...
La vérité est un jeune arbre inflexible que nulle force au monde ne peut ployer, et dont rien ne sauroit faire un arc!—C’est un rocher qui retombe sur celui qui le déplace!
Je me suis efforcé tout le long de ce livre à faire fleurir le vice, à faire prévaloir la dissolution sur la vertu; j’ai couronné de roses la pourriture; j’ai parfumé de nard la lâcheté; j’ai versé le bonheur à plein bord dans le giron de l’infamie; j’ai mis le firmament dans la boue; j’ai mis la boue dans le ciel; pas un de mes braves héros qui ne soit une victime; partout j’ai montré le mal oppresseur et le bien opprimé....—Eh tout cela, toutes ces destinées cruelles accumulées, n’ont abouti après tant de peines qu’à me donner un démenti!
Lord Cokermouth, un méchant cœur, fils peut-être d’un cœur plus condamnable encore, n’expie-t-il pas ses torts par lui-même et par sa race. Il est puni en soi. Il est puni dans sa compagne. Il est puni dans sa fille. Sa fortune se détruit, et vivant il assiste à la ruine de sa maison. Le bras de Dieu le poursuit jusque dans sa descendance, et ne s’arrête qu’après avoir tout effacé.
Lady Cokermouth, la pauvre tourterelle accouplée à un bœuf; c’étoit une âme droite; mais elle dut payer pour son père, un marchand parvenu.—Vous savez, messieurs, si c’est l’honnête homme qui parvient!
Quant à Déborah! n’étoit-ce pas la dernière raison d’une race doublement maudite, et qu’on vient de voir s’éteindre dans la personne de Vengeance, son jeune fils, enfant appartenant à deux souches condamnées; car Patrick que nous voyons étendu sur le plus dur chevalet, procède d’une antique famille dégradée après des troubles populaires durant lesquels cette famille séditieuse avoit trempé sans doute dans plus d’un forfait.
Pour Fitz-Harris, n’auroit-il eu contre lui que sa trahison envers son ami, envers son frère Patrick;—la trahison est le crime le plus grand aux yeux de Dieu,—qu’il n’eût reçu que son salaire.
O vous, que mon sophisme flattoit, berçoit, caressoit, consoloit!... qui vous êtes si follement réjouis de me voir mener dans un char de triomphe la corruption; qui avez pu voir avec joie souffrir ce qui est honnête, car tout ce qui est honnête souffre dans mon livre, et qui avez pu croire un instant avec moi au destin aveugle, à l’impunité! mettez sous vos pieds ce doux mensonge!—voilez votre face hideuse dans vos mains coupables!—Tremblez! oui, tremblez! car l’heure approche où toutes ces infortunes que j’ai chantées et des montagnes d’autres vont faire pencher le plateau de la colère de Dieu!—car Dieu à cette heure attise un châtiment comme le forgeron le feu de sa forge!—car l’heure d’une immense expiation va sonner sur un timbre funèbre, épouvantable, horrible! car Dieu et le peuple,—ces deux formidables ouvriers, vont se mettre à la besogne!—et car leur besogne comme eux sera terrible!
La monarchie décomptera longuement devant Dieu ses orgies!—et ses suppôts! le peuple les tordra dans ses mains puissantes comme un haillon!
Pas une plainte secrète, pas une larme dans l’ombre, pas un soupir étouffé, pas une goutte de sang que Dieu ne recueille—et ne pèse—et ne venge! Ce sont autant de grains de poudre qui s’amassent sous le projectile, et qui font le coup d’autant plus fort, d’autant plus redoutable au jour de l’explosion!—De là vient, de ces causes infimes et partielles, le bouleversement des empires.
Au jour de ces bouleversements avec sa propre massue Dieu tue Hercule.—Alors il divise les nations en deux parts: à l’une il met une toison, à l’autre il met une gueule: et suscite ces deux parts l’une contre l’autre jusqu’à ce que la part qui a la gueule ait dévoré la part qui n’a que la toison!
Quand l’expiation est enfin accomplie, et que Dieu n’a plus besoin de son outil, il le brise!
Dieu, tout-à-l’heure, se servira du peuple; mais dès que cet outil sera ébrêché dans sa main et sera teint de sang, à son tour il le rejetera!
Il enverra alors un homme sorti d’où l’on ne sait où, qui lavera le sang dans le sang, qui à mesure que les mères enfanteront prendra leurs fils et les écrasera sur la pierre!—Puis à son tour cet outil sera brisé! Alors les dernières ombres d’une race qui doit disparoître de la terre reparoîtront. Mais Dieu, pour achever l’holocauste, derechef se choisira un outil dans la propre maison de cette race, et fera régner sur le peuple, jusqu’à ce qu’il ait expié ses nouveaux forfaits et sa nouvelle trahison, ce dernier outil; un homme aux mains crochues portant pour sceptre une pince;—une écrevisse de mer gigantesque;—un homard, n’ayant point de sang dans les veines,—mais une carapace couleur de sang répandu!