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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXIV.

Pendant que Patrick étoit à Versailles auprès de madame Putiphar, M. le marquis de Grave de Villepastour, pour tenter nouvelle aventure, se hasarda de retourner à l’hôtel Saint-Papoul.

Contre son attente, Déborah le reçut avec une politesse, une aisance, un aplomb élégant qui le déconcerta quasi au premier abord.

Elle l’introduisit avec cérémonie, en le qualifiant de touts ses noms, prénoms, seigneuries, grades et titres, dans le même petit salon, peu de jours auparavant témoin de ses assauts et de sa courte honte.

—Je n’ai pu résister au besoin que j’éprouve de vous remercier, mylady, de votre indulgente discrétion à mon égard, dit-il d’un air patelin en s’asseyant sur le sopha; car si j’ai bien compris ce matin, M. Fitz-Whyte m’a semblé ignorer tout à fait mes poursuites et ma petite algarade de l’autre jour; votre surprise en me reconnoissant avoit failli me trahir; mais votre générosité et votre présence d’esprit ont racheté aussitôt ce mouvement involontaire; comtesse, c’est plus de bonté que je n’avois lieu d’en attendre de vous, qui m’aviez traité tant inhumainement. Cela vient de me verser un peu de baume dans le cœur; je me crois, dans ma joie, moins dédaigné, et mon orgueil et ma présomption ont poussé leur audace jusque-là de rallumer le flambeau de mon espérance à l’autel de l’amour qui n’avoit pas cessé et ne cessera jamais de brûler pour vous en mon sein!

—Monsieur, si j’avois caché à mon époux les affronts dont j’ai été abreuvée par vous, et si ce matin même je ne lui ai point montré du doigt l’homme qui s’est fait un devoir assidu de m’outrager, c’est pour lui et non pour vous, pour lui seul, que j’ai craint d’accabler de ce nouveau chagrin dans un moment où le cœur lui défailloit sous le désespoir. Veuillez, s’il vous plaît, ne point interpréter autrement ma conduite, surtout ne point l’interpréter en votre faveur; ce qui, non-seulement seroit injurieux pour moi, mais ce qui vous rendroit merveilleusement ridicule, ce à quoi vous devez être plus sensible.

—Savez-vous, inhumaine, que ce matin, devant Fitz-Whyte, vous m’avez maltraité, vous m’avez interpellé avec beaucoup d’aigreur. A vous entendre, moi, si naïf et si candide, je suis une montagne de crimes.... Soit! toutefois reconnoissez au moins que je ne suis pas avare, car je donnerois volontiers touts les crimes qui chargent ma conscience pour vous voir ma complice dans certain petit péché mignon.... Mais on perd son langage avec vous.

Vous êtes une petite déesse, mais une déesse de marbre, bonne à mettre dans un temple de marbre. Vous ne voulez point du temple vivant de mon cœur; pourtant dans ce sanctuaire vous seriez aussi à l’ombre, puisque vous tenez à sauver les apparences, que Joas dans le temple du Seigneur; et peut-être comme lui, passeriez-vous de ce sanctuaire au trône. Je vous l’ai déjà dit, si belle! partout ailleurs qu’à Versailles vous serez toujours déplacée; maintenant, vous y auriez belle chance; laissez-moi faire seulement; madame Putiphar est surannée; elle a perdu sa faveur; son crédit branle dans le manche; Pharaon en a par-dessus les épaules; une étrangère auroit bien de l’attrait pour lui; un peu de chair exotique feroit bien à son palais blasé.

—Allez, monsieur le marquis de Villepastour, allez!... Voyons jusqu’où vous descendrez! Je vous tenois pour infâme, maintenant je vous trouve ignoble!

—Vous agissez cavalièrement avec moi, mylady; vous me menez à la hussarde. Je ne vois pas pourquoi, quand vous retroussez vos manches, je mettrois des mitaines; allons, guerre pour guerre, et cartes sur table!

Vous n’ignorez pas le jugement qui vient de flétrir en Irlande M. Fitz-Whyte votre ami, votre amant ou votre époux, n’importe! vous n’ignorez pas non plus sans doute que la place d’un contumax n’est point parmi les gardes gentilshommes de sa majesté? Il faut que M. Fitz-Whyte parte, il faut que pour l’exemple je le chasse solemnellement.

Vous n’ignorez pas, d’autre part, mon amour ou mon caprice pour vous! caprice que vos dédains ont irrité et rendu persévérant; caprice dont les obstacles ont fait une passion véhémente. Je vous aime, my fair lady, je vous aime! et voyez jusques à quel point: voulez-vous sauver Fitz-Vhyte?...

—Assez, assez! monsieur; je comprends de reste. Que ne doit-on pas espérer d’un aussi noble cœur que le vôtre! Vous êtes venu ici pour maquignonner de la vertu d’une malheureuse femme? Peine vaine, monsieur! Vous êtes venu pour m’envelopper, moi crédule et foible, dans les replis d’un marché tortueux? Je ne serai point abusée, Dieu m’éclaire!

Vous voudriez que dans l’espoir de sauver mon âme de l’opprobre que vous lui préparez, car Patrick est mon âme, je me livrasse angoisseuse......... Je ne comprends pas le dévouement jusque-là. Et quand vous m’auriez souillée et que je vous réclamerois le salaire de ma honte, vous me ririez à la face, satan!

—Ce n’est point un marché que je vous propose, my fair lady, c’est simplement un échange de déshonneur contre déshonneur.

Pour vous rendre à mes désirs, il faut que vous manquiez à votre honneur d’épouse; moi, pour sauver Fitz-Whyte, il faut que je manque à mon devoir de capitaine: forfait pour forfait, nous n’aurons point à rougir l’un devant l’autre.

Croyez-moi, soyez sage; descendons ensemble dans l’abyme du mal, et descendons-y en habit de fête; descendons-y joyeux. On dit que tout au fond il est jonché de fleurs où s’enivrent des plus rares plaisirs, des plaisirs proscrits, ceux qui ont osé franchir ses abords épouvantables et descendre ses ravins affreux. Ne faisons pas fi du crime: il est, comme certaines femmes au masque laid, repoussant pour le vulgaire; mais souvent aussi comme elles il a des beautés secrètes qui recèlent des plaisirs ineffables.

—Avec votre duplicité, vos sophismes, vos cajoleries, pour toute femme abandonnée de Dieu, vous pourriez être dangereux; mais pour moi, je vous le répète, vous n’êtes qu’un importun. Sortez, monsieur le marquis!

—Alors, avec de l’audace et de la violence, voyons ce que je vous serai....

—Arrêtez, monsieur!... ce cas je l’ai prévu: je ne suis plus seule ici comme l’autre jour; ma tranquille contenance auroit dû vous l’apprendre.

Disant cela, Deborah s’étoit saisie de deux pistolets cachés sous un coussin du canapé.

—Si vous faites un pas vers moi vous êtes mort! Sortez, vous dis-je; sortez, je vous l’ordonne!... Allez ailleurs traîner vos vices! Ne revenez jamais ici. Veuillez me croire femme de résolution. Aujourd’hui je m’en suis tenue aux menaces, une autre fois je les supprimerois....

—Ma belle, puisque vous le prenez ainsi, je me retire. Calmez-vous, je vous prie; ce que j’en voulois faire c’étoit pour votre bien; c’étoit, comtesse, pour vous tirer de la bourgeoisie où vous êtes embourbée, et sauver généreusement M. Fitz-Whyte de l’opprobre qui l’attend.

Soyez tranquille, je ne vous importunerai plus désormais; ou si par hasard la fantaisie belliqueuse m’en prenoit, je ne le ferois que dans l’armure d’un de mes ayeux, la dague d’une main et la lance de l’autre.

—Monsieur le marquis, le fait me paroît aventuré, si j’en crois la chronique; vos ayeux nettoyoient les armures, mais n’en portoient point.

Monsieur de Gave marquis de Villepastour n’attendoit pas si bonne réplique à sa gasconnade; bouche clouée et l’air assez penaud il se retira; et lady Déborah le reconduisit avec ses pistolets aux poings et beaucoup de politesse.

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