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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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IX.

M . le lieutenant pour le Roi étoit curieux et questionneur, et avoit une habileté singulière à provoquer des conversations, à faire naître des récits, à soutirer des souvenirs. Comme il venoit assez souvent visiter nos deux captifs pour leur faire parler de l’Irlande, il ne tarda pas à concevoir pour eux une véritable estime, et à s’éprendre d’un sincère intérêt, inspiré par leur jeunesse et leur bon caractère.

Ce n’est pas, comme assurément on a pu le remarquer, que leurs caractères fussent également beaux, mais ils étoient également bons. Fitz-Harris, inconsidéré, inconséquent, léger, éventé, évaporé, superficiel, brouillon, désordonné, avoit touts les défauts d’une tête qui ne se possède pas, d’un esprit naturel et transparent, et c’est justement à cause de cela, à cause de ces défauts mêmes, qu’on lui pardonnoit tout, même ce qui étoit tout-à-fait mal. Le mal fait par lui sembloit moins mal; on l’appeloit étourderie, et il trouvoit des sourires, de l’indulgence, des pardons où une âme réfléchie, grave, sage, uniforme comme celle de Patrick, n’auroit trouvé que de l’indignation et du mépris.

Fitz-Harris étoit variable comme l’atmosphère; et, comme certaines contrées, il n’avoit que deux saisons, le printemps et l’hiver, mai et décembre, joie et spleen. Il sautoit brusquement de la plus folle gaieté à la plus stupide hypocondrie. Patrick étoit son pondérateur. Tour à tour il réprimoit ses excès; tour à tour il lui ôtoit ou lui remettoit des sentiments. Le pire, c’étoit que Fitz-Harris ne savoit point employer son temps. Patrick lisoit beaucoup dans les livres et dans son cœur, écrivoit, recueilloit, prenoit des notes, dessinoit. Fitz-Harris parloit, chantoit, dansoit, marchoit, rioit, balivernoit, musoit, baguenaudoit, flagnoit, barguignoit et batifoloit avec Cork dans ses heures de félicité parfaite; dans ses quarts-d’heure d’abattement, il geignoit comme un caïman; il heurtoit tout et tout le heurtoit; il se gonfloit de colère née sans semence, prenoit un livre, en examinoit la reliûre et le rejetoit, s’étendoit sur son lit, s’adossoit à la table, ou se promenoit de chaise en chaise ridiculement silencieux. De jour en jour, toutefois, ses mouvements de gaieté devenoient plus rares et de plus courte durée, et, à l’époque où nous touchons, il étoit en proie à un désespoir presque permanent.

Le 13 avril, plus morose que jamais, il rôdoit, il tournoit dans sa prison octogone, allant de pan en pan, d’angle en angle, lisant et déchiffrant, pour la centième fois peut-être, les noms, les dates, les inscriptions, les sentences, les vers tracés sur les murs par les mains presque toujours innocentes des infortunés qui, dans d’autres temps, avoient été plongés dans ce cachot.

Hiems æternum.—1680.

L’horloge ne sonnera jamais pour moi l’heure de la liberté.—1701.

O pur amour de Dieu!... Voici un mois que j’ai épousé Jésus-Christ. Depuis cette alliance considérable, je ne prie plus les saints, pas même la Vierge Marie, parce que la maitresse de la maison ne doit implorer les secours ni de la mère ni des domestiques de son époux.—1695.—Jeanne-Marie Bouvière-de-la-Motte, Guyon du Quesnoy.

Le comte de Thunn.—1703.

Le comte de Thunn.—1713.

Lenglet-Dufresnoy.—1725.

1734.—Claude-Prosper Joliot-de-Crébillon.Désormais je serai vertueux; je ne ferai plus de TANZAI ET NÉARDANÉ.

Diderot.

Henry Masers de Latude.

Mon esprit, soyez tranquille et souffrez en paix vos douleurs.

Marquis de Mirabeau.

La vie s’enfuit, les enfermeurs d’hommes et les enfermés passent. Dieu seul demeure et juge.

Je sortirai quand ce cadran marquera l’heure et le moment.

Fitz-Harris n’avoit pas achevé cette dernière inscription, que M. de Guyonnet entra d’un air joyeux et empressé.—Bonne nouvelle, messieurs, s’écria-t-il, bonne nouvelle.... Voici le fait. Je viens à l’instant d’apprendre que madame Putiphar est malade dangereusement, très-dangereusement; abandonnée des médecins. J’ai pensé que si vous lui écriviez pour lui demander votre grâce, en ce moment suprême, près de descendre dans la tombe et de paroître devant Dieu, elle ne sauroit vous refuser pardon et pitié.—Allons, il n’y a pas une minute à perdre; faites vite vos suppliques, et je les ferai partir en toute hâte.... Faites vite; la mort est à son chevet.... Peut-être n’est-elle déjà plus.

—Mille remerciements à vous, M. de Guyonnet; que vous êtes bon! s’écria Fitz-Harris en lui baisant les mains.

—Bien, bien, Fitz; vous me rendrez grâce plus tard. Écrivez; je reviendrai dans un instant chercher vos lettres. Eh bien! Patrick, allons donc, mon ami; que faites-vous là; allons donc.... Les secondes sont comptées.

—Merci, M. de Guyonnet, répliqua Patrick froidement.—Vous êtes généreux, vous; mais cette femme ne l’est pas. J’aurois la certitude d’obtenir ma délivrance, que je ne voudrois pas la lui demander. Je suis juste, pur, innocent; le crime m’a chargé de chaînes: quand mes chaînes tomberont, je louerai Dieu! mais la vertu n’a point de jointures pour se ployer devant le crime.—Allez, monsieur, mon corps et mon cœur savent souffrir; ma bouche ne dira jamais grâce.

—Vous êtes un fou, mon ami.

—Peut-être; mais, pour certain, je ne suis point un lâche.

—Laissez-le, M. le lieutenant; qu’importe, je parlerai pour deux.

—Non, Fitz; je te le défends.

Ne faites pas à votre frère ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. Un jour tu as demandé grâce pour moi, et tu m’as tiré de la Bastille; aujourd’hui, moi, je veux m’acquitter de cette dette, je veux prier pour toi, je veux te sauver; je veux t’arracher du Donjon. Frère, je le veux; frère, j’en ai le droit.

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