Madame Putiphar, vol 1 e 2
LIVRE QUATRIÈME.
I.
Une grande cheminée de marbre blanc en arc d’Amour. A gauche, madame Putiphar brode; à droite, Pharaon s’ennuie.
Il bâille.
Elle bâille.
Quelle sympathie!
—Sire, allons, déridez-vous un peu. Si vous n’êtes pas plus gentil que cela, mignon, je ne vous conterai pas les grosses histoires que je sais.—Qui a pu, bon Dieu! vous plonger dans une si profonde mélancolie?... Vous avez au dîner mangé comme un goulu. Avez-vous une indigestion?
—Oui, une indigestion de la vie!
Puisque vous demeurez là comme un catafalque, je vais envoyer chercher mes musiciens pour vous jouer une messe de requiem.
—Non, s’il vous plaît; laissez mes oreilles en repos.
—Requiem à part, je veux que vous entendiez plusieurs nouvelles ariettes languedociennes de Mondonville; elles sont délicieuses! cela vous distraira.
—Non, vous dis-je, point de musique! Cela fait mal à ouïr et pitié à voir: des hommes à l’état de raison, des hommes mûrs qui sur différents tons vagissent comme des enfants en sevrage, ou frottent avec un grand trémoussement et un grand sérieux une queue de cheval sur des boyaux de mouton, ou tapent sur une peau d’âne ou soufflent dans un bâton troué.
—Majesté, que vous êtes bourrue!
A propos de bourru, M. le duc d’Ayen vous a-t-il parlé de la plaisante anecdote qui a fait tant de bruit aujourd’hui? L’aventure est vraiment merveilleuse.—A ce qu’on rapporte, la semaine dernière, madame de Flamarens et madame de Combalet vinrent à parler des avantages de leur personne. La première vantoit beaucoup ses seins, et la seconde prétendoit en avoir tout autant. Là-dessus il s’éleva un violent débat entre elles. Pour mettre fin à cette contestation elles parièrent, et convinrent de s’en référer à MM. de Brissac, de Chaulnes, de Cucé et de Rochechouart. Ces messieurs acceptèrent cette mission; et le jour du jugement fut fixé pour le surlendemain chez la Flamarens. Chacune envoya des circulaires à touts ses amis pour les prier de se trouver à la séance et d’assister à son triomphe. A l’heure précise touts s’y trouvèrent. En outre des quatre juges, il y avoit, dit-on, une vingtaine de gentilshommes, clercs et laïques. De part et d’autre, comme à une course de chevaux, on établit des paris; et il fut convenu que la perdante donneroit à toute la compagnie présente un magnifique souper. Le signal est donné, ces dames ôtent leur corps-baleiné, et mettent leurs seins au vent.
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La comtesse de Flamarens est à grands cris proclamée vainqueur, non pas à la satisfaction du plus grand nombre.—Cinq, trompés par les apparences du corset, avoient gagé pour votre grande louvetière, et quinze pour la Combalet.—On dit que monseigneur l’archevêque de Toulouse, Richard-Arthur Dillon, à perdu à ce jeu trois mille livres; et que monseigneur l’archevêque d’Orléans, Sextius de Jarente, qui vouloit gager six mille livres pour madame de Combalet, a été évincé sous prétexte qu’il parioit à coup sûr.—Le souper a eu lieu hier, et a été, assure-t-on, prodigieusement fou. Madame de Flamarens a rempli avec beaucoup de grâce les formalités prescrites, et madame de Combalet a fait faire à son corset contre mauvaise fortune bon cœur.
Sire, allons donc, laissez-vous sourire. L’invention de la cuillère à potage n’est-elle pas divine? Oh! pour moi, quand on me l’a contée, j’en ai été ravie, et j’en ris encore jusqu’aux larmes!...
Ici la Putiphar ricana et Pharaon gémit.
—Mignon, dites, est-ce que vous êtes fâché?... En quoi vous ai-je déplu; parlez, je vous en demande pardon?
Ici Pharaon se leva nonchalamment et se promena avec indolence.
—Oh! gouverner un peuple! quel supplice! quel enfer! Quel fardeau qu’un sceptre! Je romprai sous le poids.
—Mignon, ne suis-je plus là pour vous aider à supporter votre couronne? Vos ministres vous ont-ils donc touts abandonné?
—Oh! l’Espagnol Charles-Quint fit bien d’abdiquer l’Empire!... Je l’abdiquerai comme lui!
On empoisonne mes jours. Cette nuit, on avoit oublié mon en-cas; ce matin j’ai fait un déjeûn détestable.
La royauté est chose dure et cruelle en ces temps mauvais! Tout se regimbe contre elle, elle n’a plus de subjects, elle n’a plus de serviteurs. Où chercher du respect et de l’obéissance?
Le thrône a perdu son prestige, ce n’est plus rien: maintenant un thrône est un thrône, un Roi est un Roi, pas plus!
Désormais qu’on ne me serve plus à dîner de la rouelle de veau; le veau est une viande visqueuse; elle me fait mal.
Le présent est sombre, mais l’avenir m’effraye plus encore. La philosopherie a corrompu le peuple. Tout me brave!... Je suis malheureux!...
Ma personne inviolable et sacrée a été outragée.... Pompon, toi qui es soigneuse de ma gloire, venge-moi!
—Sire, vous outragé! Eh! par qui?
—Oh! par rien, par une enfant, une sotte, une élève du Parc, une pimbêche!
—J’en étoit sûre. Une Irlandoise, n’est-ce pas?
—Elle savoit que j’étois le Roi, et elle m’a repoussé et m’a maudit.
—L’indigne! ce ver de terre vous dédaigner? Ah! vraiment j’en sue de colère!... Et qu’avez-vous dit à La Madame?
—Que je la chasserois si jamais pareille avanie m’arrivoit; qu’elle ait à mieux dresser ses élèves, et qu’on marie de suite cette virago avec une forte dot pour l’appaiser.
—Sire, cela ne se peut pas. Une femme semblable est un être dangereux. Elle ne peut plus rentrer dans le monde, il faut que pour la vie elle soit enfermée dans une prison d’État, et la plus secrète! Reposez-vous sur moi, Sire, votre affront sera lavé.
—Vit-on jamais prince plus malheureux en peuple?
—Sire, vous oubliez que cette fille n’est point de votre peuple. C’est une étrangère, une sauvage! Vos subjects valent mieux que cela.
—Mon Dieu! mon Dieu! que de soucis rongent la royauté! C’est un métier pénible aujourd’hui que le métier de Roi. La vie me pèse; qu’un autre prenne soin de la France, elle m’ennuie; tout m’ennuie, je ne veux plus gouverner, il faut que j’abdique!
—Mignon, sois tranquille; allons, calme-toi: cette fille impudente sera punie. Chasse toutes ces pensées noires. Ce n’est rien que cela! Le lion a été piqué par un insecte! nous l’écraserons cet insecte! Sire, allons, égayez-vous, amusez-vous. Pourquoi ce soir ne faites-vous pas du café? Tenez, voici votre marabout et votre moulin, et du moka dont le parfum est suave. Tenez, flairez, n’est-ce pas qu’il fleure délicieusement?
Allons, mignon, ne faites plus la moue; soufflez le feu, je vous conterai encore une histoire.