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Madame Putiphar, vol 1 e 2

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XXXIII.

Après l’expulsion de Patrick, M. le marquis de Gave de Villepastour vint trouver madame Putiphar.

—Bonjour donc, adorable marquis, lui dit-elle agréablement en lui tendant à baiser une main si chargée de bagues qu’elle sembloit un écrin.

—Je vois avec plaisir, madame, que je ne suis point encore tombé en votre disgrâce: vous faites si lestement toilette neuve de sentiments qu’avec vous on est toujours dans l’anxiété de savoir si l’on est dessus ou dessous le pavois.

Ce pauvre Patrick a fait promptement une rude cascade de votre tendresse à votre haine. Savez-vous que vous n’avez pas été longue à vous en désenamourer. Que peut donc vous avoir fait ce brave garçon?

—Marquis, foi de Reine, il m’a manqué de respect.

—Fi, le vilain!... Jusques où, madame?...

—Jusques à la ceinture.

—Ah! l’éhonté.... Vous avez fort bien fait, madame, de châtier ce libidineux: c’est une carie pour la Cour et la ville que ces gents contagieux. Il est temps, ou le monde va tomber en dissolution, de mettre un frein aux mœurs équivoques, et de les arrêter dans leur débordement. Avant peu, madame, si tout marche des mêmes erres, on n’osera plus, par n’importe quelle anse, toucher à une femme, croquer des pastilles, ouvrir un livre, s’asseoir dans un fauteuil; et, pour n’être pas violé, il faudra s’enfermer dans une cuirasse. Dernièrement dans un prône, voyez jusques où s’étend la perversité de notre âge de fer,...

—Marquis, dites plutôt de vif-argent.

—....un frère prêcheur crioit:—C’est par pur libertinage que les enfants d’aujourd’hui vont en nourrice.

—Qu’y faire? Ce sont nos philosophes qui perdent tout.

—Surtout nos philosophes économistes.

—Il faut se donner de garde en échenillant un arbre d’en faire choir les fleurs: en secouant les préjugés, ils ont secoué la vertu.

—Ils ont tout secoué, madame.

Ma visite, noble Reine, je ne veux point biaiser, n’est pas tout à fait désintéressée: je vous ai aidée avec dévouement à venger les mœurs, je viens vous prier de daigner m’aider à les venger à mon tour.

—Que voulez-vous?

—Une lettre de cachet.

—Pour qui?

—Pour une femme.

—Sans doute, l’amante de notre sauvage? Vous auroit-elle aussi manqué de respect, marquis?

—Justement.

—Jusques où, marquis?

—Jusques où vous voudrez, madame.

—Et vous voulez faire claquemurer cette bégueule, sot que vous êtes, maintenant qu’elle est libre? Qui vous gêne? Un homme ne peut-il pas toujours vaincre une femme? Du cœur, marquis, et vous en viendrez à honneur.

—Merci, madame; qu’un plus habile marin débouque ce pertuis; pour moi j’en ai donné ma part aux chiens, j’y renonce.

—Mais c’est donc une forteresse?

—Oui, madame, et sans pont-levis. C’est une impénétrable forêt de préjugés et de vertus provinciales à égarer et à lasser la plus rude meute de chasse.

—Ah! la belle fait ainsi l’inviolable.... Nous la formerons, marquis.

Dites-moi, est-elle vraiment belle?

—Très-belle, madame, pleine de grâce et d’esprit.

Tenez, voici son portrait, qui a été trouvé à la caserne dans la chambre de Patrick.

Elle a surtout cette hypocrisie angloise qui a tant d’attraits pour nous autres François blasés du dévergondage de nos femmes.

—Si cette miniature ne ment pas, c’est tout de bon une charmante enfant. Marquis, je me charge de votre vengeance, et j’y ajoute la mienne: car je ne suis pas pour elle sans quelque rancune. Laissez-moi faire, et vous serez bien vengé.

—Madame, je vous baise les mains, et me repose sur vous: vous êtes experte en cette matière: ma cause ne sauroit avoir meilleur défenseur; mais seroit-ce une indiscrétion de vous demander quel châtiment vous réservez à la coupable?

—Oh! ceci, mon beau, est un secret.

—Un secret, bellissime, entre vous et moi?

—Que vous importe? vos mœurs seront vengées!

—Ma présomption m’avoit poussé à me croire plus près de votre confiance; madame, ne vous complaisez pas à vous faire des demi-amis: les demi-amitiés, c’est ce qu’il y a de plus funeste au monde.

—Tout doux, marquis, ne vous blessez pas; vous savez que nous vous aimons, on vous dira tout, vilain curieux!

Mes ennemis, et ils sont nombreux, outrés de la faveur et de l’empire que, malgré la perte de son amour, j’ai conservés chez Pharaon, chaque jour font de nouveaux efforts et de nouvelles trames pour me perdre auprès de lui. Depuis un mois surtout ils se sont acharnés de plus belle, et ont imaginé, c’est la vingtième fois peut-être, pour le détacher de moi, de lui ménager des rapports avec une certaine jolie intrigante. J’en ai d’abord pris de l’alarme, mais aujourd’hui j’ai presque l’assurance qu’elle ne me supplantera pas: Pharaon m’en a mal parlé; il la trouve sans esprit; elle l’ennuie. Pour l’en dégoûter parfaitement, la moindre nouveauté suffiroit; mais nous sommes dans la disette; au Parc il n’y a que deux ou trois petites filles que l’on élève à la brochette, mais rien de mur à cueillir. Ne vous semble-t-il pas....

—Oh! la délicieuse idée! Oh! la divine inspiration, madame!

—Vous ne pensez pas que cette fille puisse être ou puisse devenir dangereuse pour moi? Ce n’est pas une personne habile, dissimulée, ambitieuse?

—Soyez tranquille, madame, c’est une enfant ignorante de tout; d’ailleurs, pauvre, étrangère, abandonnée, que voulez-vous qu’elle fasse? Je redouterois plutôt son sot orgueil.

—Que ceci ne vous inquiète point: c’est l’affaire de La Madame, elle la dressera. Allez, beau merveilleux, on en a dompté de plus rebelle.

Madame Putiphar sonna, et fit alors appeler le valet de chambre Lebel, intendant secret des plaisirs honteux et royaux, et lui dit: Nous avons enfin trouvé chaussure à notre pied! Vous ferez dès aujourd’hui même prendre....

Marquis, la demeure?

—Hôtel Saint-Papoul, rue de Verneuil.

—Une jeune personne, Irlandoise ou Angloise.... Son nom, marquis?

—Elle se nomme Déborah de Cockermouth-Castle: mais, là, elle doit être appelée simplement lady Patrick Fitz-Whyte.

—Vous entendez bien ceci, mon cher Lebel; allez, et ne laissez pas échapper cette proie: vous m’en répondez sur la vie.

—Madame, nos ordres seront ponctuellement exécutés.

—Eh bien, marquis, êtes-vous satisfait?

—Madame, je suis aux Anges! et ne sais comment vous exprimer ma gratitude. Permettez que j’embrasse vos pieds!...

—Non: donnez votre bouche discrète, que je la baise; et pour l’amour qui depuis si long-temps vous brûle, venez ce soir souper avec moi.

—Oh! J’en mourrai, madame!...

—Non, marquis, vous n’en mourrez pas.

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