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Les manieurs d'argent à Rome jusqu'à l'Empire

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CHAPITRE II.
L’ŒUVRE FINANCIÈRE ET POLITIQUE DES PUBLICAINS ET DES BANQUIERS. — HISTOIRE INTERNE. — CENTRALISATION DES AFFAIRES A ROME.

Ulpien, dans un texte rapporté au Digeste, nous donne une définition qui, par la simplicité de sa forme, n’indique guère le rôle important qu’ont joué les publicains, durant une longue période de l’histoire de Rome. Il ne faut pas s’en étonner. L’institution avait perdu toute son activité et sa grandeur à l’époque classique. Elle figure à peine, par quelques dispositions répressives ou d’exécution, dans les Compilations de Justinien. Le pouvoir impérial avait, depuis longtemps, absorbé toute initiative privée.

Le jurisconsulte s’exprime ainsi (L. 1, § 1, D. 39, 4, de publicanis) : « Publicani sunt qui publico fruuntur : nam inde nomen habent, sive fisco vectigal pendant, vel tributum consequantur : et omnes qui quid a fisco conducunt recte appellantur publicani. »

Les publicains sont ceux qui traitent avec l’État, pour prendre à ferme les impôts ou les revenus des terres publiques, pour entreprendre, soit les fournitures, soit les transports de vivres ou de munitions pour les armées, soit enfin les grands travaux publics. Dans cette dernière matière des travaux publics, l’une des plus considérables, garderont-ils logiquement et effectivement leur nom, quand ils traiteront avec les cités, ou avec toute autre universitas, se rattachant à l’organisation de l’État ? C’est ce que nous aurons à examiner ultérieurement.

Quelle qu’ait été l’étendue de leurs spéculations, et quoique leurs œuvres financières aient eu pour champ principal d’application les provinces, il ne faut pourtant pas confondre les publicains avec les negotiatores : ces trafiquants nombreux et pleins d’audace, dont il est souvent question à l’époque de la République.

Après les guerres Puniques, Rome semble avoir eu conscience de la force d’expansion qui allait conduire ses armées de victoire en victoire, dans l’univers entier. Sous l’influence de ce sentiment de fierté nationale, et animés par la passion du gain, les negotiatores s’étaient répandus de bonne heure, dans la plupart des provinces que Rome devait soumettre ; avant que les armées n’eussent pénétré dans le pays, ils en avaient déjà pris possession. Ils étendaient progressivement, des frontières de la province, jusque dans l’intérieur des terres, par tous les moyens en leur pouvoir, et par le seul effet de leur énergie personnelle, leur domination financière et commerciale.

C’est ainsi que l’insurrection des Gaules, par laquelle se termina la guerre, fut suscitée par les abus ou les déprédations des Romains, déjà répandus dans tout le Midi, et éclata par le massacre des negotiatores de Genabum[156]. Cicéron rapporte, en effet, que, même avant la conquête, il ne se déplaçait plus en Gaule un solide, qui ne figurât sur les registres des citoyens romains[157].

[156] César, De bello gall., VII, III.

[157] Cicéron, Pro Fonteio, I. César signale ce fait que les Belges n’avaient pas encore subi l’influence des mercatores, lorsqu’il arriva dans leur pays.

Et lorsque, en 666-88, les habitants de l’Asie occidentale procédèrent, sous la direction de Mithridate, à ce massacre de cent cinquante mille Romains, qui fut le début d’une grande guerre, ils ne se vengeaient pas seulement des publicains et des proconsuls qui avaient commis leurs excès dans les provinces déjà conquises, ils égorgeaient dans ces « Vêpres Asiatiques[158] » les trafiquants italiens qui s’étaient avancés bien au delà des possessions romaines, à l’abri d’alliances conclues, ou simplement, soutenus par le prestige de leur race. Il en fut de même en Afrique ; nous retrouverons ces faits, à leur place chronologique dans l’histoire, et nous les redirons avec plus de détails[159].

[158] D’Hugues, loc. cit., p. 47.

[159] Salluste, Jugurtha, XXVI.

Ces negotiatores, comme les publicains eux-mêmes[160], faisaient souvent des affaires de banque. Cependant, c’est à tort que l’on confond, parfois même dans les ouvrages les plus autorisés, tous ces trafiquants, sous le nom commun de banquiers. C’est aller beaucoup trop loin, et nous devons apporter ici plus de précision dans les termes.

[160] César, De bello civ., III, III, 31, 103 ; Vell. Pat., II, 11.

Occupons-nous d’abord des publicains, nous parlerons ensuite des banquiers, laissant de côté les negotiatores, trafiquants en détail, dont nous n’aurons à traiter qu’incidemment, et dans leurs rapports avec les personnages que nous étudions.

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