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Les manieurs d'argent à Rome jusqu'à l'Empire

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§ 4. — Consulat et dictature de Sylla (665-89 à 675-79).

Les chevaliers et, par le fait même, les publicains, devaient rencontrer un adversaire redoutable, un ennemi hautain, implacable et sanguinaire. Ce qu’avaient vainement tenté Drusus et Plotius Silvanus par les procédés légaux, Sylla allait le réaliser par les proscriptions, les confiscations, les exécutions en masse, par le fer et le feu. Marius et Cinna durent s’effacer devant le tout-puissant dictateur, devant le représentant impitoyable de la réaction aristocratique.

Marius avait été nommé général de l’expédition d’Asie, dont Sylla convoitait le commandement (665-89). Pendant que le futur dictateur, à qui rien ne devait résister, guerroyait en Italie, à la tête d’une armée courageuse et dévouée, il apprit qu’il était éliminé par les intrigues de Sulpicius, au profit d’un rival préféré. Il s’adressa alors à ses soldats, il leur fit entrevoir les profits de la guerre d’Asie, où il avait compté les conduire ; il rappela à la plupart d’entre eux, qui connaissaient déjà la riche province, ce qu’ils pouvaient espérer de succès et de butin dans l’expédition qu’on lui refusait, et les amena à Rome, prêts à tout tenter avec lui.

Pour la première fois, les murailles sacrées furent franchies par les légions en armes. Marius fut défait dans les rues mêmes de la ville ; il prit la fuite. Il fut arrêté aux marais de Minturnes, devenus depuis lors légendaires, et relâché par les magistrats provinciaux, qui n’osèrent toucher au sauveur de la République, et qui respectèrent peut-être plus encore en lui, le représentant des chevaliers et des villes italiennes.

Sylla devint maître de Rome. Il prit, pendant cette première occupation du pouvoir suprême, des mesures relativement modérées, dont quelques-unes même étaient opportunes et sages. Il remit en vigueur certaines dispositions anciennes sur le maximum de l’intérêt (Lex unciaria, 666-88) ; créa des colonies ; augmenta de trois cents membres, choisis à son gré, le Sénat ; fit quelques modifications dans l’organisation des comices ; prononça, bien qu’il n’en eût pas le droit, des condamnations à mort, notamment contre douze personnages considérables ; augmenta la puissance législative du Sénat ; mais il respecta, malgré tout, les éléments les plus essentiels du régime politique inauguré par les Gracques.

Il en resta là, pour la première partie de son œuvre de toute-puissance. Les financiers n’avaient pas tardé à reconnaître en lui un ennemi acharné. Ils firent échouer au consulat les candidats de son choix, lui opposèrent Cinna d’abord, Strabon ensuite. Malgré les dangers que pouvaient susciter à sa cause, dans la ville, ces deux adversaires déterminés, Sylla voulut, avant tout, réaliser les bénéfices de cette guerre d’Asie qui avait été le premier objet de sa marche sur Rome, et s’embarqua, en effet, avec les légions fidèles, auxquelles il tenait ainsi ses promesses, au commencement de l’année 667-87.

Après avoir abattu la coalition des Orientaux suscitée par le puissant et habile roi de Pont, il s’efforça de reconstituer les affaires des Italiens survivants du massacre par lequel la guerre avait commencé. Aux impôts et aux charges dont nous aurons à parler bientôt, et dont il frappa l’ennemi, il joignit une indemnité de guerre de 20,000 talents. Il laissa à son lieutenant Lucullus la charge d’assurer tous les résultats de la victoire, et revint vers Rome (671-83).

Les troubles et les luttes armées s’étaient renouvelés dans la cité, plus que jamais divisée. Cinna et Marius y étaient rentrés et y avaient inauguré la terreur, par le massacre en masse des notables du parti aristocratique. Cinna pendant son passage au pouvoir avait supprimé toutes les dispositions apportées par Sylla. Hostile au parti des nobles, et favorisant celui des Italiens, il prenait des mesures de précaution contre Sylla lui-même et ses partisans, lorsque celui-ci s’annonça par une lettre écrite au Sénat.

Après une véritable guerre entre armées romaines, Sylla rentrait à Rome, en 672-82, comme maître et comme dictateur tout-puissant.

Sylla détestait les chevaliers autant que cette bourgeoisie des municipes italiens, d’où ils tiraient leur origine. Il porta au milieu des villes italiennes la dévastation et la mort ; il en détruisit plusieurs, il ravagea leur territoire. A Rome, il dressait, en 673-81, ses listes de proscription. Deux mille six cents chevaliers, suivant certains historiens, un bien plus grand nombre, suivant d’autres, furent chassés ou tués, leurs biens confisqués au profit des amis du maître[447]. Le sang des adversaires, citoyens de toutes classes et soldats, coula à flots dans les rues. C’était la violente réponse aux massacres de Marius.

[447] Cicéron, Epist. ad Quint. fratr., I, 1.

Mais il fallait assurer l’avenir, et Sylla ne manqua pas de faire aussi, dans ce but, ses lois judiciaires. Rien ne le pressait à cet égard. Pour le moment, sa justice sommaire et expéditive suffisait à tout.

Nous parlerons plus bas de la loi judiciaire Cornelia ; parcourons d’abord les actes accomplis directement contre les publicains en personne, ou contre leurs œuvres, soit pendant le premier consulat, soit à l’époque de la dictature.

D’abord, Sylla frappa ce qui restait de l’ordre équestre dans sa vanité, en lui retirant les places qui, depuis les Gracques, lui avaient été réservées dans les fêtes publiques.

Il attaqua aussi les publicains au cœur, c’est-à-dire dans leurs spéculations ; car il essaya de leur enlever l’entreprise des impôts de l’Asie. Dans ce but, il chargea la province de lever elle-même ses impôts.

Mais il dut reconnaître qu’on ne peut pas procéder aussi sommairement, en pareille matière. Plus les impôts sont durs, plus il est nécessaire que le temps et l’habitude aient fait accepter le mode de perception une fois établi. Or, Sylla n’entendait pas diminuer les charges de la province ; bien au contraire. Il fut obligé d’en revenir aux publicains, comme on dut le faire plus tard encore, sous César. « Pendere ipsi vectigal sine publicano non potuerunt, quod iis æqualiter Sylla descripserat », dit Cicéron[448]. Ce furent les habitants des villes de l’Asie qui, lassés des abus de leurs compatriotes devenus agents du fisc, demandèrent eux-mêmes qu’on leur rendît les publicains, à titre de moindre mal.

[448] Valère-Maxime, IX, 2, 1 ; Appien, G. civ., I, 95 ; Florus, 2, 9 ; Plutarque, Sylla, 31 ; Cicéron, Ad Quint., I ; Mommsen, t. V, p. 351.

Les révolutionnaires agissent ordinairement avec plus de force que de réflexion ou de combinaisons prudentes. Nous l’avons observé pour les Gracques. De même, M. Belot remarque que « Sylla manqua de prévoyance et de logique[449]. Ce fut lui-même qui, sans le vouloir, livra l’Asie à l’avidité des publicains. Il exigea des Asiatiques l’impôt de cinq années, vingt mille talents ou à peu près cent millions de francs. Les malheureux Grecs devaient ou contribuer ou emprunter. Or, ils n’avaient pas parmi eux de chefs capables d’opérer une pareille recette. Il leur fallut donc recourir aux seuls grands capitalistes d’alors, aux publicains. Ainsi, l’on peut dire de Sylla ce que Tacite a dit de Pompée, qu’il fut le destructeur de ses propres lois. »

[449] Loc. cit., p. 178.

Au bout de quatorze ans la somme avait sextuplé. Les villes furent obligées de vendre les édifices publics, les objets d’art ; les contribuables, à leur tour, furent aussi obligés de tout vendre, même leurs enfants, comme nous le verrons, pour acquitter une partie de leur dette envers les publicains devenus banquiers[450].

[450] Voy. infra, chap. III, sect. I, § 6.

Toutes les révolutions, même celles qui étaient dirigées contre les hommes de finance, continuaient donc à tourner, en définitive, à leur profit. Sylla lui-même ne parvenait pas à s’en défaire, il était condamné à les subir.

Dans cette lutte séculaire, l’aristocratie d’argent s’était substituée de plus en plus à ce que l’ordre sénatorial gardait encore de l’antique patriciat. Elle était devenue un des ressorts essentiels de la République romaine.

L’aristocratie des riches et des financiers est parfois plus supportable au peuple que l’autre, parce qu’elle est habituellement moins hautaine, moins fière, et en tout cas plus accessible. Mais dominée par le mobile de l’intérêt, qui ne représente, dans de pareilles conditions, que les jouissances de la vanité et le plaisir ; sans vertu, sans traditions, sans liens de cohésion avec les autres et avec elle-même, elle ne saurait être une force de conservation sociale. Elle ne peut pas être, comme les aristocraties familiales l’ont été parfois, un agent solide de gouvernement ; elle est plutôt un élément de dissolution, par sa morale qui est celle du droit de jouir, par son scepticisme, par son absence de principes, et par les funestes convoitises qu’elle développe naturellement autour d’elle. C’est pour cela, en regardant au fond des choses, que Montesquieu pouvait dire, autant en noble de race qu’en philosophe et en historien, « une pareille chose détruisit la République romaine. »

Sylla abdiqua en 675, après avoir exercé un pouvoir aussi absolu que violent ; mais ses œuvres lui survécurent quelque temps encore. « Il put bien quitter volontairement la souveraine puissance, mais il ne put empêcher l’effet du mauvais exemple. Chacun voulut dominer », a dit Bossuet[451].

[451] Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, 9e époque.

Il avait songé d’ailleurs lui-même à l’avenir, nous l’avons dit, et pour consacrer sa conquête, suivant la coutume, il avait fait une loi judiciaire, cette fois, au profit du Sénat. On a osé dire que, s’il l’eût faite plus tôt, il aurait pu ne pas assumer la responsabilité de ses crimes, parce que les sénateurs, sous les formes de la justice et avec son appui, n’auraient pas manqué d’accomplir la lugubre besogne qu’il réalisa seul. C’est, du moins, Cicéron qui l’affirme[452] ; et cela peut nous indiquer à quel degré s’étaient excitées les passions et les haines qui se poursuivaient entre les divers ordres de citoyens, avec l’aide des tribunaux et des lois dites de salut public.

[452] Cicéron, Pro Cluentio, LV.

Dans l’administration de la justice, la loi Cornélia donna aux sénateurs seuls le jugement des causes publiques, c’est-à-dire de celles où s’exerçait en réalité la direction des affaires de l’État. On ne laissa aux autres classes de citoyens que le jugement des affaires privées[453].

[453] Voy. l’énumération des lois cornéliennes dans Smith, Dict., vo Leges Corneliæ. Mommsen, Hist. rom., t. V, p. 375 et suiv.

Il faut cependant remarquer que Sylla, soit pour répondre aux besoins du service, soit pour se faire des partisans plus nombreux et plus dévoués au Sénat, avait créé trois cents nouveaux sénateurs, c’est-à-dire qu’il avait doublé le personnel de cette assemblée. Ces nouveaux sénateurs avaient été empruntés à l’ordre des chevaliers ; mais ils avaient sans doute été bien choisis dans l’esprit de la politique dictatoriale. Le questeur tirait au sort le nom des juges pour chaque quæstio.

Les abus d’influences traditionnels et la vénalité ne manquèrent pas d’apparaître, dans les nouvelles juridictions. D’ailleurs, le dictateur avait détruit tous les moyens d’appel ou de contrôle. Le tribunat avait été désarmé, la censure fut supprimée de 668-86 à 684-70.

C’est à ces juges de l’ordre sénatorial eux-mêmes, que Cicéron osa dire pour les ramener à la pudeur : « Le peuple romain apprendra de moi… pourquoi depuis que les tribunaux ont passé à l’ordre des sénateurs et que le peuple romain a perdu le pouvoir qu’il exerçait sur chacun de nous, Q. Calidius a dit, après sa condamnation, qu’on ne pouvait honnêtement condamner un ancien préteur pour moins de trois millions de sesterces ; pourquoi, lors de la condamnation du sénateur Septimius pour crime de péculat, on fixa l’amende qu’il devait payer, d’après les sommes qu’il avait reçues comme juge ; pourquoi dans le procès de C. Herennius et dans celui de C. Popilius, tous deux condamnés pour péculat, et dans celui de M. Atilius, condamné pour crime de lèse-majesté, il fut prouvé jusqu’à l’évidence qu’ils avaient reçu de l’argent pour prix de leurs sentences ; pourquoi il s’est trouvé des sénateurs qui, sortis de l’urne que tenait Verrès, alors préteur de Rome, allaient aussitôt condamner un accusé sans l’entendre ; pourquoi il s’est trouvé un sénateur qui, étant juge, reçut de l’argent, dans une même cause, et de l’accusé pour le distribuer aux autres juges, et de l’accusateur pour condamner l’accusé[454]. »

[454] Cicéron, Verr., act. II, lib. I, no XIII. Cicéron parle, dans ce passage, de l’intégrité des anciens tribunaux de chevaliers, comme s’il croyait à cette intégrité. On a pu voir ce qu’il faut penser de ce procédé d’avocat, sans scrupule pour ses moyens de plaidoirie. « Cognoscit ex me populus Romanus, quid sit quamobrem, quum equester ordo judicaret, annos prope quinquaginta continuos, nulla (judice equite Romano judicante) ne tenuissima quidem suspicio acceptæ pecuniæ ob rem judicandam constituta sit. » Cela, du reste, pouvait être matériellement vrai. Les chevaliers réalisaient assez de bénéfices, par les conséquences de leurs abominables jugements, pour qu’on n’ait pas eu besoin de leur payer ces jugements.

Nous avons reproduit ce passage de Cicéron, quoiqu’il n’y soit pas directement question des publicains, parce que nous y voyons du moins, ce que l’amour de l’argent avait fait de cette société romaine, jusque dans les plus hautes sphères.

Au surplus, les publicains étaient toujours, de près ou de loin, mêlés à ces trafics ; nous allons en voir la preuve, en examinant de près le monde de la province tel que nous le décrivent les Verrines, dans d’intéressants détails. Ils se sentent assez forts pour braver les tribunaux de sénateurs. Ils ont perdu le pouvoir judiciaire, mais ils ont gardé l’argent, base de leur puissance et savent s’en servir, pour rester encore les maîtres devant les nouvelles juridictions. Les paroles que nous venons de rapporter n’en témoignent que trop clairement. Ils conservent, d’ailleurs, l’espérance d’un retour dans les formes ; et Cicéron argumente sans cesse, devant les quæstiones des sénateurs, en les menaçant de se voir enlever la judicature, s’ils ne se montrent pas à la hauteur de leur tâche[455]. Les financiers n’ont pas désarmé.

[455] Cicéron, Verr., act. I, nos VIII, XVI, XVIII : « Sed nos non tenebimus judicia diutius… alium ordinem ad res judicandas arbitrabuntur… Suscipe causam judiciorum. » Act. II, liv. III, no XCVI : « Quod si ita est, quid possumus contra illum prætorem dicere, qui quotidie templum tenet, qui rempublicam sistere negat posse, ni ad equestrem ordinem judicia referantur ? »

§ 5. — Les publicains de Sicile et Verrès (679-75).

Quoique les discours contre Verrès soient fort connus, et aient été très souvent analysés, nous ne pouvons nous dispenser de nous y arrêter. Cicéron était juriste en même temps qu’orateur, et c’est dans ses œuvres que l’on trouve les documents les plus exacts sur le Droit spécial à son époque ; les compilations de Justinien ne peuvent plus nous en donner qu’une faible idée.

Cela est vrai surtout, pour les institutions supprimées, à peu près complètement, par le temps et la politique, comme celles que nous étudions en ce moment.

Or, les Verrines nous font voir, avec de curieux détails qui n’ont guère été étudiés, la vie des publicains collecteurs d’impôts, dans l’une des plus intéressantes provinces romaines, la Sicile. On y aperçoit de nombreuses compagnies vectigaliennes à l’œuvre, dans les meilleures conditions possibles, pour réaliser leurs abus. Elles y procèdent, d’accord avec le magistrat qui, chargé de les surveiller et de réprimer leurs excès, se sert d’elles, au contraire, comme du moyen le plus commode et le plus sûr d’exercer ses propres rapines.

On sait que Verrès avait été envoyé comme préteur en Sicile en 679-75. Pendant les trois ans que dura sa magistrature, il commit toute espèce d’abominations. Il avait la soif de l’or, tous les vices de son temps, et la passion des objets d’art. Était-ce une tendance naturelle, ou subissait-il simplement, sur ce dernier point, par vanité, l’influence de la mode qui poussait les Romains vers la littérature, la philosophie, les mœurs, le langage, et les arts de la Grèce ? C’est ce qu’il est difficile de savoir[456]. Ce qui est certain, c’est que Cicéron avait consacré une de ses Verrines, spécialement aux vols des objets d’art de tous genres, enlevés par Verrès à la Sicile (de signis) ; et qu’après avoir subi vingt-quatre ans d’exil, à son retour à Rome, le même Verrès fut de nouveau proscrit par Antoine, pour avoir refusé de céder au puissant triumvir, de beaux vases de Corinthe.

[456] Verr., act. II, lib. IV, no I : « Venio nunc ad istius quemadmodum ipse appellat studium ; ut amici ejus, morbum et insaniam ; ut siculi latrocinium : ego, quo nomine appellem, nescio. »

Pour satisfaire ses désirs, il s’était habitué à ne reculer devant rien ; la vie des autres ne comptait pas pour lui ; Cicéron le prouvait à ses juges, dans la Verrine qu’il consacrait à la dénonciation de ses forfaits sanguinaires. Mais ce n’est pas à cela que nous voulons nous arrêter. Ce sont les affaires d’argent qui nous intéressent.

Justement, ce furent les banquiers de Syracuse qui osèrent accuser Verrès et le traduire devant les quæstiones pendant qu’il était encore dans l’exercice de son pouvoir.

C’est qu’en effet, Verrès a eu souvent affaire avec les banquiers et les publicains, et c’est dans ses rapports avec ceux-ci, qu’il nous importe de le suivre. Il était le complaisant d’abord, il devint bientôt le complice et le bénéficiaire de leurs dilapidations.

En violant pour eux et avec eux tous les principes de l’honnêteté, de la justice, des lois et des coutumes de sa province, il a fourni à son accusateur l’occasion de nous transmettre de précieuses indications sur ces coutumes et ces lois. C’est ainsi que, pour établir par analogie ce qui devait être ailleurs et que nous ne connaissons pas, il nous sera possible d’indiquer, à peu près, ce que furent au temps de Verrès en Sicile, la législation, et les principales dispositions relatives aux finances.

Nous ferons une sorte de tableau d’ensemble, incomplet assurément, et auquel manqueront les couleurs et la vie d’un admirable original nécessairement très réduit, mais nous pourrons ainsi représenter, sous une forme concrète et réelle, ce que nous ne pouvons étudier ailleurs que dans des faits historiques épars et détachés, ou dans les détails disséminés des règles d’un droit peu connu.

Quoiqu’il fût admis, en fait, que le gouvernement d’une province fût un moyen tout naturel de faire fortune, les magistrats y mettaient ordinairement, sans doute, un peu plus de réserve que Verrès, et se montraient moins larges, soit pour eux-mêmes, soit surtout pour les publicains placés sous leur autorité.

Faut-il aller jusqu’à dire, avec Cicéron, dans la seconde Verrine, que cette alliance odieuse que nous allons voir entre publicains et magistrats, fut un fait exceptionnel ? Nous savons bien que non. Et cependant le grand orateur disait : « C’est porter une accusation grave et véhémente, et inouïe depuis qu’existent les poursuites de repetundis, que d’inculper un très grave préteur du peuple romain d’avoir fait société avec les publicains[457]. » Il disait évidemment le contraire de la vérité, au moins pour l’époque où les tribunaux appartenaient aux chevaliers. Cicéron lui-même, redevenu plus sincère, le déclare dans un autre passage des mêmes Verrines que nous avons déjà cité[458].

[457] « Grave crimen est hoc, et vehemens, et post hominum memoriam, judiciaque de pecuniis repetundis constituta, gravissimum prætorem populi Romani socios habuisse decumanos. »

[458] Cicéron, Verr., act. II, lib. III, no XLI.

Les magistrats faisaient trop rapidement d’immenses fortunes en province, pour se montrer fort scrupuleux sur le choix des moyens. Celui-ci était si commode et si naturel qu’il dut être employé quelquefois, et qu’il devint probablement ordinaire. Cicéron lui-même, préteur en Cilicie, n’a pas dû être toujours très farouche contre des hommes qu’il flatte à tout instant dans ses discours et auxquels il ne cesse de s’intéresser auprès de sa famille et de ses amis dans ses lettres[459]. Du moins il agissait salvis legibus ; et quelques-uns de ses collègues devaient rester dans leurs rapports avec Rome, comme lui, dans la légalité ; c’est un soin que Verrès et bien d’autres, sans doute, ne se donnèrent même pas.

[459] Voy. d’Hugues, Une province romaine sous la République. Cicéron, Ad attic., XI, 1 ; Ad familiares, V, 20.

Voyons d’abord de quoi se composent les textes de la législation en Sicile ; nous entrerons, ensuite, dans les détails de ce que ces dispositions contenaient d’intéressant pour nous sur les juridictions, la procédure, les moyens de preuve et l’exécution.

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