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Les manieurs d'argent à Rome jusqu'à l'Empire

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§ 3. — Impôts et travaux publics mis en adjudication[193].

[193] Comme nous pensons pouvoir consacrer ultérieurement une étude spéciale à l’objet du présent paragraphe, nous nous bornons, ici, à quelques notions générales et succinctes.

Avant les guerres Puniques, à la fin du quatrième siècle, fut créé un impôt sur lequel la spéculation devait se porter, et qui fut, dès son origine, mis en adjudication : la Vicesima manumissionum[194], pendant que se continuaient, depuis la plus haute antiquité, le fermage de la scriptura, ou impôt sur les pâturages publics, et celui des portoria, impôt des douanes. Il en fut de même de l’impôt sur le prix des ventes, sur les transmissions héréditaires et de bien d’autres que nous étudierons tour à tour, parce qu’ils furent tous donnés en adjudication aux publicains.

[194] Voy. Tite-Live, VIII, 16.

A partir des guerres puniques, le jour se fait complètement sur la fixation des impôts et sur leur mode de perception.

L’ager provincialis s’est immensément étendu, et le régime des Decumani, des collecteurs de tributs en nature ou en argent sur les immeubles, s’est immédiatement organisé. C’est là que les publicains commettent leurs exactions, sinon les plus considérables, du moins celles qui sont les plus odieuses aux populations. Le régime n’est pas le même dans toutes les provinces, mais presque sur tout le territoire romain on retrouve les publicains, soit comme adjudicataires de la dîme, ainsi que nous le verrons spécialement pour la Sicile et l’Asie, soit comme intermédiaires spéculant sur la transmission du produit des impôts sur le sol et les personnes, en même temps qu’ils sont adjudicataires d’impôts indirects à percevoir, ou de travaux publics à effectuer[195].

[195] Les municipes avaient parfois le droit de percevoir des revenus (vectigalia) dans certaines provinces ; cela constituait les principales ressources de ces municipes. Il en était ainsi pour le municipe d’Arpinum, pour celui d’Atella, dont Cicéron se fait le protecteur auprès des magistrats et de César lui-même. Cicéron, Ad. fam., XIII, 7 et 11.

Enfin, les mines et carrières appartenant à l’État étaient données plus fréquemment que jamais en adjudication.

En même temps s’accomplissaient les grands travaux d’embellissement dans Rome, à l’aide des richesses recueillies, par tous les moyens, dans le monde entier. On commença à tracer aussi les grandes voies qui devaient conduire du Mille d’or aux extrémités de l’univers. C’est le temps des grandes entreprises qui commencent et vont en se développant[196].

[196] Appien (De bello civili, I, XXII) indique spécialement pour les routes, qu’elles étaient données en adjudication à des entrepreneurs. « Gracchus », dit-il, « établissait de longues routes à travers l’Italie ; ainsi il s’attachait la multitude des adjudicataires de ces travaux et de leurs ouvriers : c’était une troupe toujours prête à exécuter tout ce qu’il ordonnait. »

« A l’époque de Polybe », dit Marquardt[197], « la dépense la plus importante pour l’État était celle des travaux publics. C’étaient, outre les travaux d’entretien des murs, des routes et des conduites d’eau, la construction des temples, des Porticus, Basilicæ, l’établissement des voies romaines, des Fora, les installations pour les ludi circenses, les fournitures pour l’armée[198]. C’était, la plupart du temps, aux censeurs qu’était confié le soin de faire exécuter ces travaux. On y consacrait la moitié ou même une plus grande partie des vectigalia, c’est-à-dire des impôts indirects[199]. » Les temples étaient construits, « tantôt par un général, avec les produits du butin de la guerre, ou bien par les édiles, avec les produits des amendes qui leur étaient attribués, ou bien par le Sénat, en vertu d’une décision spéciale. C’est par un magistrat ayant l’imperium que les travaux étaient mis en adjudication… L’État ne se préoccupait que des moyens de communication d’intérêt général, des chaussées, des aqueducs, des ponts et des ports, tandis que les travaux municipaux, et spécialement les chemins vicinaux et les ponts y relatifs, furent laissés de plus en plus à la charge des communes[200]. »

[197] L’organisation financière des Romains, par Marquardt, trad. Vigié, p. 108.

[198] « Sulpicius prætor sex millia togarum, trigenia tunicarum et equos, deportanda in Macedoniam præbendaque arbitratu consulis locavit. » Tite-Live, XLIV, 16.

[199] Tite Live, XXIX, 44 ; XL, 51 ; XL, 46, 16 ; XLI, 27 ; XLIV, 16, 9.

[200] Marquardt, loc. cit., avec les textes nombreux des auteurs indiqués en note.

Les sociétés des publicains se portaient, parfois simultanément, adjudicataires de ces grands travaux et de la perception des impôts. Elles pouvaient y joindre les grandes entreprises de transports, que facilitaient leurs relations déjà organisées avec les provinces, ou qui, à l’inverse, leur servaient à étendre leurs propres établissements.

L’adjudication se faisait dans les mêmes formes, et aux mêmes conditions que pour les impôts. On retrouve partout les mancipes, les prædes, les garanties à fournir sur les biens, prædia subsignata, et l’adjudication devant le censeur, ou un autre magistrat, avec le cahier des charges pour les travaux à exécuter, locationes censoriæ[201].

[201] Belot, Histoire des chevaliers, p. 163. Vo Lex Puteolana parieti faciundo. Egger, Lat. Serm. vet. reliquiæ, p. 248. Mommsen, C. I. L., I, p. 577. Nombreux textes de Tite-Live et de Cicéron.

Il nous paraît incontestable que les adjudicataires de travaux, même d’intérêt privé, bénéficiaient, par le seul fait de l’intervention du magistrat dans l’adjudication, du régime spécial des sociétés de publicains. Nous voyons, en effet, que Verrès, ayant mis en adjudication publique, en sa qualité de préteur, des constructions de colonnes à faire pour un pupille, se permit d’insérer dans la Lex cette disposition : Qui de L. Marcio, M. Perpenna censoribus redemerit, eum socium ne admittito, neve ei partem dato, neve ei redimito. Voilà bien les mots caractéristiques des sociétés que nous étudions : socium admittere, partem dare ; et, cependant, il s’agit de travaux effectués par ordre de justice, sans doute, mais dans un intérêt privé. Or, Cicéron ne conteste pas à Verrès la légalité de la mesure qu’il a prise dans son cahier des charges ; mais seulement la manœuvre frauduleuse que cette mesure dissimulait[202].

[202] Cicéron, II, Verr., I, 15.

Il n’en reste pas moins vrai qu’il fallait l’intervention d’un magistrat pour obtenir ce résultat anormal, au point de vue de l’organisation des sociétés, et que, par conséquent, l’État resta toujours le maître de laisser se créer ou de défendre, à son gré, les associations de capitaux.

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