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Les manieurs d'argent à Rome jusqu'à l'Empire

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§ 6. — Sociétés de banquiers. Corréalité.

Nous avons eu l’occasion de dire que les banquiers ne pouvaient former que des sociétés de personnes, et que c’est là, ce qui avait très probablement restreint la portée de leurs opérations, et diminué leur rôle dans l’histoire. Néanmoins, les sociétés de banquiers furent assez fréquentes chez les Romains ; elles furent soumises à quelques règles spéciales que nous ne devons que mentionner ici, mais qui ont donné lieu à de graves discussions juridiques.

Évidemment, il ne faut pas confondre ces sociétés d’argentarii avec les corporations ou collèges que formèrent les banquiers en s’unissant, comme le firent, à une certaine époque, tous les gens de même métier, de la même profession. Il ne faut pas les confondre, non plus, avec l’état d’indivision qui pouvait résulter, par exemple, de la mort d’un banquier laissant plusieurs héritiers.

Ces sociétés se constituaient par simple contrat consensuel, sans aucune des formes de publicité qui sont exigées de nos jours.

La personnalité civile, qui se rattache à la nature même de nos sociétés commerciales, n’existait pas non plus, comme elle existait pour les publicains. Cette personnalité était accordée aux collèges et corporations autorisés, il est vrai, mais ces associations n’avaient aucun but de spéculation[306].

[306] L. 1, D., quod cujuscumque, 3, 4.

Les sociétés de banquiers pouvaient se former comme sociétés totorum bonorum ou omnium quæstuum ; normalement, elles ne devaient être que alicujus negotiationis, c’est-à-dire exclusivement en vue de l’exploitation de la mensa, de la banque. « Quod quisque tamen socius non ex argentaria causa quæsiit id ad communionem non pertinere[307]. » « Ce que chaque associé retire d’ailleurs que des opérations de banque, reste en dehors de la société. » C’est la société unius negotiationis, dont le jurisconsulte nous indique les effets ; ce devait être la société usuellement pratiquée entre banquiers.

[307] L. 52, § 5, D., pro socio, 17, 2.

Mais une grave dérogation au droit commun, généralement reconnue aujourd’hui, quoiqu’elle ait été fort discutée, fut admise à l’égard des effets de l’obligation contractée par l’un des associés avec les tiers[308]. Nous considérons, en effet, comme démontré, que cette obligation entraînait de droit, l’engagement solidaire de tous les autres associés.

[308] Savigny, Des obligations, trad. Joson, t. I, p. 171. — Demangeat, Obligations solidaires, p. 164. — Accarias, t. II, p. 517, note 2, 3e édit. ; p. 146, note 3, 4e édit.

Nous pourrons indiquer, ailleurs, les arguments fournis par les textes ; nous nous bornerons à faire remarquer ici, au point de vue des faits et de la pratique, tout ce que cette solution a de rationnel et de vraisemblable. Le client n’entend-il pas traiter avec la banque, plutôt qu’avec la personne déterminée de l’associé avec lequel il se met en rapport ? Il fallait bien que, sans avoir les avantages de la personnalité civile, du moins chacun des associés engageât toute la maison, — si l’on me permet cette expression moderne, — en traitant avec un de ses clients. Une solution contraire eût créé des embarras incessants, et aurait pu nuire au crédit, non seulement de quelques-uns des associés, mais encore, et par le fait même, à celui de la banque toute entière. La pratique avait indiqué et imposé la solution nécessaire, déjà du temps de Cicéron[309]. De même, et à l’inverse, chaque argentarius associé avait action contre le débiteur de la maison de banque, indépendamment de toute clause de solidarité[310].

[309] Cic., Ad Her., II, 13.

[310] Humbert, Dict. de Daremberg et Saglio, vo Argentarii, qui cite : Paul, fr. 27, D., de pactis, II, 14 ; Demangeat et Savigny, aux lieux cités dans la note précédente.

La corréalité pouvait même se produire entre banquiers non associés, par le fait d’une stipulatio ou d’une expensilatio communes. Les textes ont prévu ce cas en ces termes : « Quorum nomina simul facta sunt[311]. Quorum nomina simul eunt[312]. »

[311] L. 3, pr., D., de pactis, 2, 14.

[312] L. 34, D., de receptis, IV, 8.

Ces procédés adoptés pour faciliter les relations et augmenter le crédit des banquiers, se rattachent à l’emploi de leurs livres, et rentrent dans le courant de la pratique des affaires commerciales. Une grave controverse s’est élevée, à son occasion, sur les effets produits par la novation réalisée vis-à-vis de l’un des banquiers seulement[313]. Mais ce n’est pas le moment de pénétrer dans les détails difficiles de cette question de droit.

[313] Les lois 27, D., de pactis, II, 14, et 31, § 1, D., de nov., 46, 2, paraissent être en opposition. Nous reviendrons sur ce point.

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