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Les manieurs d'argent à Rome jusqu'à l'Empire

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3o Juridiction et compétence au point de vue des sociétés de publicains. — La Sicile avait aussi obtenu de Rome des règles spéciales, relativement à la constitution des juridictions civiles.

Nous avons déjà dit quelques mots des juridictions devant lesquelles Verrès fut poursuivi lui-même à Rome ; elles étaient encore composées, en 675-79, de sénateurs, conformément aux lois établies par Sylla. Cette circonstance, il faut le dire, n’avait pas rendu Verrès plus tendre ni plus circonspect envers les sénateurs qui devaient être ses juges. Cicéron, qui sait l’importance des préoccupations de cette nature, le lui reproche sous la forme d’une observation de simple bon sens et s’étonne de son imprudence : « Tu sic ordinem senatorium despexisti… tamen ad ejusdem ordinis te judices esse venturum[474]. »

[474] Cicéron n’oublie pas, quant à lui, qu’il plaide devant des juges sénateurs, et, pour les besoins de sa cause, il n’a aucun scrupule, cette fois, à maltraiter les chevaliers et les publicains dans un passage que nous avons rapporté plus haut.

Mais ce sont les tribunaux dont les publicains eux-mêmes étaient justiciables, dans leurs rapports avec les contribuables, qui nous intéressent spécialement ici : les juges des actions privées signalées au Digeste.

Nous voyons dans la seconde Verrine, au livre II, spécialement consacrée aux abus commis par les actes de justice, que ces tribunaux impliquaient les deux éléments normaux de la justice civile, magistrat et judex ; mais une loi spéciale avait réglé, pour la Sicile, le choix des juges, et elle contenait même une disposition particulière aux decumani. C’était la loi sicilienne d’Hiéron qui devait être appliquée pour la composition des tribunaux, comme pour le mode de perceptions, conformément aux règles suivies avant la conquête[475].

[475] Verr., act. II, lib. II, no XIII.

Probablement, dans les autres provinces, le choix des juges était laissé à l’appréciation du préteur, sans qu’il y eût de règles spéciales aux procès où les publicains étaient intéressés. Il en était autrement en Sicile. Or, sur ce point, comme pour tous les détails de sa vie administrative, Verrès avait agi à sa guise. Tu ausus es, lui dit Cicéron, pro nihilo præ tua præda tot res sanctissimas ducere[476] ?

[476] Verr., act. II, lib. II, no XVI, et lib. III, no XI.

Verrès, contrairement à la loi de Hiéron qu’il eût dû appliquer, prenait, pour en faire des juges, les gens les plus déconsidérés et les plus tarés de son ignoble suite.

La Sicile bénéficiait, à cet égard, d’une autre disposition spéciale, que le préteur ne respectait pas davantage. « Il existait », dit Cicéron, « une loi Rupilia donnée par P. Rupilius, en vertu d’un sénatus-consulte, sur l’avis de dix députés, observée en Sicile par tous les consuls et les préteurs. Verrès déclara qu’il ne tirerait point les juges au sort comme le voulait la loi Rupilia ; il en donna cinq, choisis à son gré[477]. »

[477] Verr., act. II, lib. II, no XVI.

« En présence des juges de ton choix, que feront ces pauvres laboureurs ? » s’écrie l’orateur[478].

[478] Verr., act. II, lib. III, nos VII et XII.

Nous ne pouvons pas nous étendre ici, sur la manière dont les tribunaux ainsi composés durent rendre la justice. On devine aisément ce qui dut se passer, devant de pareils juges, lorsque l’on sait avec quelle partialité systématique, les tribunaux, légalement constitués, s’acquittaient eux-mêmes de leurs fonctions.

Les Verrines nous fournissent encore quelques indications intéressantes, quant aux règles de compétence de ces juridictions sans justice. Cicéron ne nous en parle que pour blâmer Verrès de les avoir méconnues.

Ainsi, par exemple, la règle que la compétence ne peut être fixée par le caprice du demandeur, mais qu’elle doit plutôt être conforme à la convenance du défendeur, existait assurément en Sicile comme ailleurs, et s’imposait aux publicains comme aux autres demandeurs de toute catégorie ; car Cicéron s’indigne que Verrès ait osé établir une règle contraire au profit des publicains[479].

[479] Verr., act. II, lib. III, no XV : « Statuit iste ut arator decumano quo vellet decumanus vadimonium promitteret, ut hic quoque Apronio, cum ex Leontino usque Lilybæum aliquem vadaretur, ex miseris aratoribus calumniandi quæstus accederet… Contra omnia senatus consulta, contra omnia jura contraque legem Rupiliam extra forum vadimonium promittant aratores. »

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