Hier et demain : $b pensées brèves
CHAPITRE VIII
La vieillesse des peuples.
Il n’est pas d’exemple, dans l’histoire, de nations ayant progressé toujours. Après une certaine phase de grandeur elles déclinent et disparaissent, ne laissant parfois que d’incertains vestiges.
Si les cycles de l’histoire doivent se répéter, toutes les nations seraient, comme celles du passé, condamnées à vieillir et disparaître. Le sable a recouvert les vestiges de Ninive. La gloire de Rome n’est plus qu’un souvenir.
Les peuples périssent, les œuvres survivent quelquefois. Mais de la mort une vie nouvelle jaillit bientôt. Sur la poussière des races créatrices des pyramides sont nées des races nouvelles, riches de vérités inconnues des anciennes civilisations.
Ce qu’on appelle la vieillesse d’un peuple est une vieillesse mentale beaucoup plus que biologique.
La vieillesse d’un peuple commence lorsque, amolli par le bien-être et devenu incapable d’effort, il substitue l’égoïsme individuel à l’égoïsme collectif, cherche à obtenir un maximum de tranquillité avec un minimum de travail et se montre incapable de s’adapter aux nécessités nouvelles que les progrès d’une civilisation font toujours surgir.
Les peuples ne grandissent plus quand la vie leur devient trop facile. Rome ne progressa que pendant la période de ses luttes. L’âge de la paix et de la prospérité matérielle marqua les débuts de son déclin.
Il existe dans l’histoire des peuples des moments où le culte de la force, la passion du gain et la mauvaise foi peuvent constituer des éléments de succès, mais de tels succès entraînent bientôt la décadence. Carthage en fit jadis l’expérience. Malgré ses richesses et la puissance de ses armées, elle disparut de l’histoire en ne laissant d’autres vestiges que le mépris des peuples pour la foi punique.
Les vieillards, assurait Bacon, font trop d’objections, consultent trop longuement, risquent trop peu, regrettent trop vite, agissent rarement au moment propice et se contentent de succès médiocres. De tels défauts s’observent également chez des peuples dont diverses causes ont paralysé les énergies.
L’impuissance à se décider, la tendance à l’inaction et la peur des responsabilités sont des symptômes caractéristiques de sénilité chez les individus comme chez les peuples.
Il semblerait qu’arrivés à une certaine phase de leur existence, les peuples ne puissent progresser sans l’action de grandes crises bouleversant leur vie. Elles paraissent nécessaires pour les dégager de l’étreinte d’un passé devenu trop lourd, de préjugés et d’habitudes trop fixés.
Un peuple vieillit vite lorsque, ne sachant pas s’adapter aux nécessités nouvelles, il se laisse dépasser. A en juger par les statistiques industrielles, maritimes et commerciales, certaines nations étaient avant la guerre considérablement distancées par d’autres. La lutte actuelle sera peut-être un stimulant capable de réveiller les activités endormies.
Lorsqu’une catastrophe met en évidence l’usure et par conséquent l’insuffisance d’une ancienne armature sociale, la nécessité de la transformer s’impose. Bien dirigée, cette difficile opération rend à la société ébranlée une vie nouvelle. Mal conduite, et ce cas est le plus fréquent, elle engendre une anarchie qui, pour certains peuples, a marqué la fin de leur histoire.
Parmi les causes de destruction menaçant les civilisations trop vieilles, on peut citer l’accumulation des règlements régissant la vie sociale. Ils paralysent les libertés, les initiatives, et finalement la volonté d’agir.
Certaines professions créèrent à toutes les époques les mêmes déformations mentales. Machiavel se plaignait déjà de la paperasserie et de la routine des états-majors de son temps.
Le développement du pacifisme, chez un peuple entouré de nations avides de conquêtes, désagrège les ressorts de son activité et le conduit rapidement à être asservi.
Un passé de grandeur est toujours pour les peuples un lourd, parfois même un écrasant fardeau.
Le degré de vitalité des diverses nations sera plus visible encore au lendemain de la paix que pendant la guerre.