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Hier et demain : $b pensées brèves

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CHAPITRE IV
Les forces collectives.

Un peuple devient très fort quand il possède un idéal capable d’engendrer chez tous ses citoyens les mêmes sentiments, les mêmes pensées et, par conséquent, les mêmes actes. L’anarchie séculaire des Germains disparut lorsqu’au moyen de l’école et de la caserne la Prusse leur fit acquérir un idéal de domination universelle.


Quand un peuple a été longuement dressé à l’effort collectif, il finit par superposer à son âme individuelle une âme collective qui la domine entièrement. Tous ses sentiments : orgueil, gloire, soif de puissance, deviennent alors collectifs.


La substitution du collectif à l’individuel n’élève pas l’intelligence, mais elle donne une grande force militaire et industrielle aux peuples qui la réalisent.


Les sentiments collectifs obéissent à la même loi que les sentiments individuels, c’est-à-dire la domination de toutes les passions par une seule devenue très forte. L’orgueil du peuple allemand s’était tellement développé qu’il lui fit sacrifier à son ambition d’hégémonie l’intérêt évident de maintenir la paix nécessaire aux progrès de son industrie.


Faire surgir des sentiments dans l’âme des multitudes est relativement facile, les refréner difficile. En se développant ils deviennent des forces qu’on ne maîtrise plus.


Avec l’évolution actuelle de la civilisation, chaque société semble conduite à se diviser en petits groupements possédant des intérêts similaires et dirigés par des individualités fortes.


Dans les sociétés nouvelles en voie de formation l’individu isolé sera vite écrasé. Il ne pourra y prospérer qu’en s’agrégeant à des groupes possesseurs d’intérêts semblables.


En matière de sentiments, l’âme collective d’un peuple est supérieure aux âmes individuelles. En matière d’intelligence, les âmes individuelles l’emportent au contraire beaucoup sur l’âme collective.


Les grandes personnalités indépendantes tendent de plus en plus à disparaître. L’être collectif remplace progressivement l’être individuel.


Chez les peuples primitifs n’ayant pas sensiblement dépassé l’étape de la tribu et du clan les individus ne possèdent pas encore d’âme personnelle nettement formée, mais seulement une âme collective. Le militarisme et l’évolution industrielle ramènent certaines nations à la phase collective des premiers âges.


S’annexer à une collectivité, c’est accroître sa force sociale, mais perdre sa personnalité.


Les Grecs préféraient la grandeur individuelle à la grandeur collective, les Romains se contentaient de la supériorité collective.


Les Romains encore demi-barbares asservirent la Grèce qui possédait déjà une légion de penseurs et d’artistes immortels, grâce à des qualités collectives de discipline et ténacité un peu dédaignées des vaincus.


Les batailles tendent à devenir collectives. Les combinaisons d’un grand chef ne sauraient suffire aujourd’hui à décider en quelques heures des succès d’une campagne. Une victoire moderne représente l’addition de milliers d’énergies.


Les nations doivent toujours se tenir en défense contre les accès de délire collectif d’un peuple, surtout quand il appuie sa soif de conquêtes sur la conviction d’accomplir une mission divine. C’est au nom de conceptions analogues que les Arabes et les Turcs ont jadis ravagé le monde. Le canon seul peut combattre de telles illusions.


La plupart des sentiments ou des associations de sentiments tels que l’optimisme, le pessimisme et le courage, se propagent par contagion mentale, mais la propagation est beaucoup plus facile quand elle prend la forme collective.


On peut demander à l’âme collective des sacrifices impossibles à obtenir de l’âme individuelle.


Une souffrance collective se supporte plus aisément qu’une souffrance individuelle.


Pendant la guerre les sentiments collectifs ont été les plus actifs. Si, après la paix, leur prédominance se maintient ils atténueront les influences individuelles souvent fort égoïstes.


Ténacité, solidarité, discipline sont des qualités de caractère qui donnèrent toujours aux peuples une grande force. Aucune qualité intellectuelle ne saurait les remplacer.


L’âge moderne représente le triomphe de la médiocrité collective.

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