Hier et demain : $b pensées brèves
CHAPITRE V
La future interdépendance des peuples.
L’élévation générale du prix de la vie pendant la guerre et la privation, dans chaque pays, d’une foule de produits ont expérimentalement prouvé l’interdépendance industrielle, commerciale et financière des peuples. Les économistes la signalaient déjà, mais sans avoir jamais convaincu personne.
On peut donner comme exemples de l’interdépendance des peuples, le fait qu’avant la guerre la métallurgie française de l’Est se procurait son charbon en Westphalie et lui donnait en échange des minerais de fer. Les métallurgistes français ne pouvaient pas plus se passer du charbon allemand que les métallurgistes allemands des minerais français.
L’interdépendance des peuples s’est manifestée même pendant la guerre. Le coton nécessaire à la fabrication des explosifs venait des États-Unis, les nitrates utilisés en agriculture du Chili. Les pyrites indispensables dans la préparation de l’acide sulfurique, base de certaines munitions, venaient d’Espagne et de Norvège.
Malgré les avantages certains du libre-échange et la probabilité de son futur triomphe, la guerre aura donné une grande force au protectionnisme. Elle a, en effet, montré aux peuples la nécessité de produire le plus possible sur leur sol les matières dont ils ont besoin pour se rendre indépendants.
Malgré les indestructibles divergences de structure mentale qui les séparent, les peuples sont condamnés à des relations commerciales de plus en plus étroites. Ils continueront à se haïr, mais ne pourront éviter d’échanger les produits différents que chacun obtient suivant ses capacités, son sol et son climat.
On peut raisonnablement espérer qu’après des luttes sauvages ayant détruit des millions d’hommes, dévasté d’antiques cités, ruiné de puissants empires, les philosophes allemands découvriront que, par suite de l’interdépendance des nations, un peuple industriel s’enrichit plus en exportant ses produits qu’en détruisant ses clients et leurs richesses à coups de canon.
Quand l’Europe obtiendra une paix prolongée, ce ne sera pas la force du droit ni des conventions internationales qui la maintiendront, mais la démonstration définitive de l’interdépendance économique des peuples.
Supérieure à toutes les volontés, l’interdépendance des peuples pourra provoquer une transformation profonde des idées qui mènent encore les nations et leurs maîtres.