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Hier et demain : $b pensées brèves

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CHAPITRE VI
L’organisation et la compétence.

L’organisation résulte simplement de l’application des principes dominant toutes les sciences : dissocier les éléments générateurs d’un phénomène, les étudier séparément et rechercher l’influence de chacun d’eux. Pareille méthode implique division du travail, compétence et discipline.


D’Alexandre à Auguste et à Napoléon tous les esprits supérieurs furent de grands organisateurs. Aucun d’eux n’ignora qu’organiser ne consiste pas seulement à créer des règlements, mais aussi à les faire exécuter. Dans cette exécution gît la principale difficulté de l’organisation.


Pas d’organisation possible si chaque individu et chaque chose n’occupent pas leur vraie place. L’application de cette élémentaire vérité demande malheureusement une clairvoyance assez rare chez certains peuples.


La valeur d’une organisation quelconque dépend du chef placé à sa tête. Les collectivités, aptes à exécuter, sont incapables de diriger et moins encore de créer.


Appliquées à l’organisation d’œuvres de prévoyance sociale, d’assurances, de retraites et d’éducation technique les habitudes de travail collectif et de discipline rendirent d’immenses services aux Allemands. Leur organisation de l’apprentissage, par exemple, empêcha chez eux la crise de la main-d’œuvre si menaçante en France.


L’absence de coordination des services semble le plus irréductible défaut des administrations latines. Des générations de ministres ont vainement tenté d’y remédier. Ce défaut sévissait à tel point qu’à Paris une rue était dépavée et repavée trois à quatre fois dans le même mois, parce que les services du gaz, de l’eau et de l’électricité ne parvenaient pas à s’entendre pour faire en une seule fois cette opération. Pendant la guerre on vit des délégués officiels, envoyés en Amérique par deux ministères différents, se faire concurrence pour acheter les mêmes chevaux que, faute d’entente préalable, ils payaient quatre fois plus cher.


Multiplier les contrôles dans un service public c’est éparpiller tellement les responsabilités qu’elles finissent par disparaître. Ce qui est contrôlé par trop de personnes n’est jamais bien contrôlé.


La faible valeur de l’organisation des services publics dans certains pays ne tient pas seulement à l’indifférence des employés et à leur peur des responsabilités, mais à ce que la faveur remplace souvent la compétence.


Les Américains semblent avoir très bien saisi tous les secrets de l’organisation. Leur grand ingénieur Taylor a montré que dans la plupart des travaux d’usine on peut, en éliminant méthodiquement les efforts inutiles, obtenir les mêmes résultats avec beaucoup moins de fatigue. Quantité d’usines, même allemandes, sont maintenant organisées d’après ce principe.


La nécessité devient vite un puissant facteur d’organisation. Il est douteux que l’esprit de méthode réputé des Allemands soit supérieur à celui qui permit aux Anglais de former en deux ans une armée de 4 millions d’hommes avec ses officiers, ses munitions et tout le matériel compliqué des guerres modernes.


Une des causes de notre faiblesse économique et gouvernementale tient à ce que les industriels étaient mis chez nous à l’écart du gouvernement ou traités en suspects. Les nécessités de la guerre ayant rendu leur concours indispensable, on dut constater que des problèmes fort complexes furent, grâce à eux, facilement résolus. S’ils n’agirent pas toujours assez vite, c’est que la redoutable incompétence des bureaux entrava constamment leur action.


L’interview de l’administrateur général des vivres en Amérique serait utilement affichée dans certains bureaux dont l’organisation fut si défectueuse pendant la guerre.

« Les vivres n’ont pas besoin, disait-il, d’une dictature, mais d’une sage administration. Je conçois, pour moi, cette administration non dans des décrets draconiens ou des inquisitions arbitraires, mais dans une harmonieuse entente et une intelligente coopération des trois grands groupes intéressés : producteurs, distributeurs, consommateurs. Mes conseillers seront pris exclusivement parmi ces trois groupes et non parmi les théoriciens ou les bureaucrates. » Quel abîme entre la mentalité qui a dicté ces lignes et celle de nos gouvernants !


La Russie a constaté expérimentalement que l’organisation même médiocre d’un grand pays est fort longue à établir et ne s’improvise pas. Cette organisation n’acquiert de valeur qu’après avoir été fixée dans les âmes.


L’excès d’organisation ne semble pas toujours favorable au progrès. La méticuleuse organisation de la Chine finit par paralyser toutes les initiatives et la conduisit à un état de décrépitude dont elle ne peut sortir.


Un pays gouverné par l’opinion ne saurait l’être par la compétence.


Le nombre peut créer l’autorité, mais non la compétence.


Une des grandes supériorités de l’industrie sur les administrations publiques est que la compétence s’y voit préférer à la hiérarchie et surtout à la faveur.


La compétence sans autorité est aussi impuissante que l’autorité sans compétence.


La compétence devient inefficace dès qu’elle est sous les ordres de l’incompétence.

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