Hier et demain : $b pensées brèves
LIVRE VI
Le Gouvernement moderne des Peuples
CHAPITRE PREMIER
Les progrès démocratiques.
Grâce à la guerre, l’égalité qui n’existait que dans les codes finira sans doute par s’introduire un peu dans les mœurs.
La guerre actuelle aura fait davantage pour la réalisation des idées démocratiques que des révolutions violentes. Les hommes soumis aux mêmes dangers ont appris a se connaître et à constater l’équivalence des capacités d’ordres différents.
La guerre marquera sans doute le triomphe définitif de la démocratie dans le monde. Monarques et diplomates ont trop manqué de clairvoyance pour que les peuples consentent désormais à remettre aveuglément leur destinée entre leurs mains. Les guerres ne seront peut-être pas moins fréquentes, mais elles seront au moins déclarées par ceux qui en supportent le fardeau.
La guerre menace toutes les autocraties et cependant elle a eu pour résultat l’apparition dans les pays en lutte de gouvernements autocratiques. Utiles parfois pour les décisions rapides, ils ont cependant accumulé de telles erreurs que la nécessité s’imposa de contrôler leur gestion par des commissions compétentes.
Avec l’évolution des temps nouveaux, nul pouvoir absolu ne sera capable de concilier et coordonner les intérêts variés et parfois contradictoires des divers groupes sociaux pour les adapter à l’intérêt général.
La guerre mondiale ayant eu pour résultat d’ébranler fortement l’autorité des conceptions autocratiques, les seules monarchies pouvant subsister seront celles de pays où le souverain ne gouverne pas et constitue simplement un symbole de l’unité nationale.
Le passage de l’autocratie individuelle à l’autocratie collective semble devoir être pour beaucoup de peuples une des conséquences de la guerre européenne.
Si l’antique loi de l’offre et de la demande continue a régir le monde, il est probable qu’après la guerre les ouvriers verront leur situation grandir énormément, en raison de la rareté de la main-d’œuvre, devant les nouveaux besoins de l’industrie.
Avec un peu d’ordre et la fermeture des cabarets, la classe ouvrière arrivera vite à constituer une nouvelle bourgeoisie. La partie moyenne de l’ancienne bourgeoisie : magistrats, fonctionnaires, professeurs, etc., a beaucoup de chances, au contraire, de former bientôt une catégorie de prolétaires qui alimenteront peut-être l’armée socialiste abandonnée par les ouvriers satisfaits de leur sort.
Un grand progrès sera réalisé quand les électeurs des pays démocratiques éliront pour les représenter, au lieu d’avocats ou d’hommes confinés dans les livres, des industriels, des agriculteurs, des commerçants connaissant les réalités de la vie.
Le véritable progrès démocratique n’est pas d’abaisser l’élite au niveau de la foule, mais d’élever la foule vers l’élite.