Hier et demain : $b pensées brèves
CHAPITRE VI
La militarisation de l’Univers.
Depuis l’origine des âges, la condition nécessaire de la vie fut toujours l’aptitude à se défendre. L’être désarmé est rapidement écrasé.
Les nécessités se subissent et ne se discutent pas. Bien qu’incompatible avec les progrès de la civilisation, le militarisme semble pourtant le seul moyen de défense connu contre les menaces d’États puissamment armés. Avant de songer à progresser, les peuples doivent éviter d’être asservis.
La militarisation du monde civilisé et toutes les régressions qui en seront la suite deviendront peut-être les caractéristiques du siècle actuel.
Après avoir été successivement à base religieuse, à base militaire, à base juridique, puis à base économique, les sociétés semblent retourner à l’état purement militaire.
Le besoin d’expansion et de domination se développe fatalement chez les peuples dont le pouvoir militaire grandit. Leurs armements étant fort coûteux, ils essayent d’en tirer profit.
Les armements du temps de paix constituent une prime d’assurance contre les attaques extérieures, mais le développement du matériel de guerre rendra cette prime si ruineuse que peu de peuples seront capables de la supporter.
Chez les nations très militarisées il n’existe d’autre droit que la volonté des chefs. La célèbre affaire de Saverne, où l’on vit un colonel prussien faire jeter dans une cave des civils dont la physionomie lui avait déplu, constitue un mémorable exemple de la mentalité créée par la substitution du droit militaire au droit civil.
Un des plus difficiles problèmes de l’avenir sera de superposer aux civilisations raffinées un militarisme rigide, contraire au développement de l’intelligence, mais indispensable au maintien de l’indépendance.
Si, pour se protéger contre le militarisme allemand, tous les peuples de l’univers sont obligés de se militariser, l’individualisme disparaîtra forcément, même au sein des nations où il était le plus développé.
L’exagération des armements, créatrice de la puissance d’un peuple, finit par entraîner sa ruine. Les empires fondés uniquement sur le militarisme succombent par le militarisme. La décadence de l’empire romain commença dès qu’il n’eut plus que des forces militaires pour soutien.
Quand les méthodes d’armement d’un peuple présentent une évidente supériorité, les autres nations sont bien obligées de les adopter, sous peine de se voir asservies. Malgré son horreur du germanisme, l’Europe est menacée d’en subir les principes militaires avec toutes les servitudes politiques qu’ils entraînent.
Supposons le militarisme allemand détruit. Comment l’empêcher de renaître, sinon en lui opposant un militarisme plus fort. Une militarisation universelle sera donc nécessaire pour démilitariser un seul peuple.
L’Europe ne pourra éviter le militarisme que par suite d’une transformation profonde dans la mentalité du peuple germanique. Possible pour l’avenir, cette transformation est bien improbable aujourd’hui.
Tant que les conceptions militaristes de l’Allemagne n’auront pas été transformées, les peuples obtiendront des armistices, mais non une paix durable.
On parle souvent d’une société des nations, mais, comme l’a déclaré un premier ministre au Parlement, cette société ne pourra être constituée que par les nations en armes. Or il est peu probable que des peuples bien armés restent longtemps pacifiques. Ce n’est pas du moins ce qu’enseignent la psychologie et l’histoire.