Hier et demain : $b pensées brèves
LIVRE VIII
Dans le Cycle de la Science
CHAPITRE PREMIER
Les vérités scientifiques et les limites
de nos certitudes.
Le savant utilise les forces de la nature et en détermine les lois, mais il ignore profondément leur essence.
A l’aurore des sciences les faits semblent facilement explicables. Quand la science grandit, des phénomènes aussi simples en apparence que l’électrisation d’un bâton de résine, la combustion d’une bougie, ou la chute d’un corps, deviennent inexplicables.
Dans le domaine de l’observation la science n’a jamais fait faillite. C’est seulement dans le cycle des interprétations que cette faillite est réelle.
Toutes nos vérités scientifiques étant des approximations à notre mesure, leur interprétation dépend de la mentalité qui les formule.
Les conséquences des lois scientifiques finissent généralement par prendre plus d’importance que la découverte de ces lois. Les trois principes fondamentaux de la thermodynamique s’énoncent en quelques lignes, mais ils ont donné naissance à de nombreux volumes d’explications.
Les vérités scientifiques les plus sûres en apparence sont seulement de conventionnelles certitudes. C’est ainsi que les axiomes essentiels de la géométrie s’appliquent à des corps inconcevables pour la pensée. On essayerait vainement d’imaginer, par exemple, un point n’ayant pas trois dimensions. Un point réel, c’est-à-dire pensable, a forcément de l’étendue et peut par conséquent être traversé par plusieurs lignes parallèles, contrairement à l’un des plus célèbres axiomes de géométrie.
Les grandes découvertes scientifiques débutent par des intuitions surgissant dans l’esprit sous forme d’hypothèses que doit ensuite vérifier l’expérience.
Refuser d’accepter l’hypothèse pour guide est se condamner à prendre le hasard pour maître.
Les hommes de tous les âges ont vécu d’hypothèses mais, alors que l’ignorant les accepte comme des certitudes définitives, le savant ne leur accorde de valeur qu’après une vérification expérimentale. L’hypothèse est seulement pour lui un échelon de la vérité.
Une doctrine scientifique et surtout philosophique n’a pas besoin pour triompher de s’appuyer sur des raisons très sûres. Il suffit qu’elle soit soutenue par des croyances très fortes.
Une banalité exprimée en termes algébriques cesse, pour beaucoup d’esprits, d’être une banalité. La théorie la plus incertaine se fait accepter facilement dès qu’elle est revêtue d’une forme mathématique.
L’histoire des sciences montre que bien des propositions admises comme vérités sont le plus souvent de simples points de vue momentanés destinés à disparaître.
L’ancienneté d’un dogme ne constitue nullement une preuve de son exactitude. Pendant deux mille ans les philosophes et les savants crurent à l’indestructibilité de l’atome. Aujourd’hui l’expérience a prouvé que la matière subit la loi universelle condamnant les choses à vieillir et mourir[2].
[2] C’est à l’auteur du présent ouvrage qu’appartient cette démonstration. Elle demanda dix ans de recherches expérimentales consignées en dix-huit mémoires résumés dans un livre, l’Évolution de la Matière, dont la 30e édition vient de paraître.
Même en matière scientifique, il est rare que nos convictions aient uniquement l’expérience pour soutien. Les théories les plus faciles à démontrer, celles de la circulation du sang ou de la dématérialisation de la matière, par exemple, ne furent acceptées qu’après l’assentiment de savants revêtus d’un prestige officiel[3].
[3] J’eus l’occasion de constater la justesse de cette proposition lorsque je fus pendant trois ans seul à soutenir, contrairement aux assertions du plus illustre des physiciens français, que les rayons émis par l’uranium ne se réfractant pas, ne se réfléchissant pas et ne se polarisant pas appartenaient à un champ nouveau de la physique.
L’utilité et la vérité sont des notions fort distinctes. On peut être obligé d’accepter une nécessité, mais il est dangereux pour le progrès de l’esprit humain d’identifier, comme le font les pragmatistes, le véridique et l’utile.
Deux vérités d’aspect contradictoire ne sont parfois que des fragments complémentaires d’une même vérité.