Hier et demain : $b pensées brèves
CHAPITRE II
Les vérités actives et les vérités inactives.
Au point de vue de leur action sur la conduite, nos certitudes pourraient être divisées en vérités actives et vérités inactives. Les vérités inactives se formulent en assertions banales que chacun répète sans être influencé par elles jusqu’à ce qu’une catastrophe en révèle la force.
Une vérité qui se heurte à des sentiments, des passions, des croyances, des intérêts ou simplement à de l’indifférence, reste une vérité inactive. Elle cesse même, pour beaucoup d’esprits, de constituer une vérité.
Nous possédions avant la guerre un grand nombre de vérités inactives : la supériorité des canons à longue portée, l’utilité de nombreuses munitions, la valeur des tranchées et bien d’autres encore. L’expérience seule révéla leur valeur.
L’énoncé d’une vérité est sans intérêt tant qu’elle ne frappe pas assez l’esprit pour devenir mobile d’action.
Les catastrophes sont parfois nécessaires pour transformer en vérités actives les vérités inactives. L’arrêt du recul des Allemands après la bataille de la Marne montra, conformément aux théories de leurs livres, qu’avec des tranchées on arrête une invasion. Nous eûmes huit départements dévastés parce que cette vérité, active pour les Allemands, était restée inactive pour nous.
Certaines vérités sont inactives parce que leur simplicité apparente dissimule des conséquences difficiles à percevoir. On peut considérer, par exemple, comme une vérité évidente qu’il ne faut pas prétendre concurrencer ses rivaux sur des terrains où leurs ressources naturelles les rendront toujours les plus forts. Le contenu de cette vérité est très supérieur à sa partie évidente, puisqu’elle semble peu comprise encore. De sa compréhension complète, tout notre avenir économique dépend.
Les vérités évidentes deviennent vite des vérités inactives. C’est pourquoi il faut souvent les répéter sous des formes diverses.
Le succès d’une vérité dépend beaucoup du moment où elle est formulée. Quand un illustre général anglais prêchait à son pays, avant la guerre, la nécessité d’une armée puissante, il n’était pas écouté. De même dans le domaine de la science pure. Personne n’adopta les idées de Lamarck lorsque avant Darwin il enseignait le transformisme.
Des vérités capables d’illuminer l’avenir restent sans action sur le présent lorsque peu d’esprits sont aptes à en saisir la portée.
L’erreur est parfois plus génératrice d’action que la vérité.