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Hier et demain : $b pensées brèves

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CHAPITRE V
Visions philosophiques.

Personnifiée sous forme d’un être jugé d’après nos sentiments humains, la nature apparaîtrait douée de qualités fort médiocres. Sa férocité serait révélée par l’obligation où elle met toutes les créatures de s’entre-dévorer pour vivre. Son intelligence semblerait restreinte, puisqu’on la voit essayer des formes successives nombreuses avant d’en réussir de plus parfaites. Sa bienveillance à notre égard serait tenue pour nulle, puisque l’existence d’un funeste microbe est aussi soigneusement assurée que celle des plus puissants génies.


Interrogé sur ses intentions, l’être personnifiant la nature répondrait sans doute que dominé par la nécessité et le temps il ne possède aucune volonté et ne lit pas mieux que les créatures dans le livre du destin.


Les hommes n’ont jamais cessé de rêver d’éternité et cependant l’éphémère les domine toujours. Les plus grands empires se sont évanouis, les dieux eux-mêmes sont tombés en poussière et aujourd’hui l’astronomie montre que les astres peuplant le ciel finissent aussi par disparaître.


Nos idées sur les choses varient nécessairement suivant que l’on considère la forme éphémère de ces choses ou leur contenu éternel.


Les religions apprenaient jadis à l’homme à regarder dans le passé et le considéraient comme déchu de sa primitive splendeur. La science montre au contraire que le progrès est dans l’avenir. Nos efforts créent la puissance de l’humanité future.


A l’éternité individuelle promise par les anciennes croyances doit se substituer le sentiment de continuité et de perfectibilité de la race. Cet idéal n’est pas insuffisant, puisque sur les champs de bataille des millions d’hommes sacrifient leur vie pour assurer la prospérité future d’êtres qu’ils ne verront jamais.


L’esprit humain préférera toujours une interprétation chimérique à l’absence d’explications.


Les lois des phénomènes sont écrites dans un livre dont une existence entière ne suffit pas à déchiffrer quelques lignes.


Rester convaincu que le monde est dominé par des fatalités occultes contre lesquelles l’homme demeure impuissant, c’est oublier que tous les progrès de la science consistent justement à dissocier des fatalités. Les grandes épidémies cessèrent d’être des fatalités quand leurs causes furent connues.


Les progrès de la civilisation représentent les triomphes successifs de l’homme dans sa lutte contre les fatalités de la nature.


L’histoire semble prouver qu’il est plus facile de subjuguer la nature que ses propres sentiments. Les forces naturelles sont asservies, le soleil, la foudre et l’océan deviennent nos esclaves, mais nous n’avons pas encore réussi à dominer certains instincts de notre animalité primitive.


L’astronomie étant incapable de déterminer la trajectoire de trois corps agissant les uns sur les autres, on conçoit l’impossibilité de calculer l’action réciproque des milliers d’éléments intervenant dans les phénomènes sociaux. Une prévision n’est possible que si l’un de ces éléments devient très prépondérant à l’égard des autres.


La science ne pourra jamais servir de base à une morale parce qu’aucune comparaison possible n’existe entre les lois morales et les lois physiques. Les premières représentent des nécessités sociales variables, d’un peuple à un autre. Les secondes sont universelles et ne varient jamais.


Toutes nos définitions se ramenant à des comparaisons, ce qui n’est comparable à rien, comme l’espace, le temps et la force, n’est pas susceptible de définition, mais seulement de mesure.


L’appréciation philosophique de la valeur des choses dépend entièrement du point de vue de l’observateur. Une intelligence supérieure indépendante du temps envisagerait les races humaines comme d’insignifiantes fourmilières peuplant un globe voué par son refroidissement progressif à une mort certaine. Un esprit considérant seulement la nature verrait dans le plus grand génie et dans la plus humble moisissure des organismes du même ordre momentanément surgis de la matière et destinés à y retourner bientôt. Au point de vue exclusivement humain, l’homme devient au contraire le centre d’un univers dont la durée est assez longue pour sembler éternelle.


Les dissertations sur la vanité des choses et sur les mystères qui nous enveloppent ne doivent pas trop retenir nos pensées. La vraie sagesse est de suivre sa destinée, sans se préoccuper des buts mystérieux d’un univers que nous ne comprenons pas. Que serait la vie des éphémères ne vivant qu’un jour s’ils employaient leur temps à disserter sur la brièveté de ce seul jour ?


Pour les dieux de prescience infinie dont les religions peuplent le ciel, l’avenir en raison même de cette prescience est aussi fixé que le passé l’est pour nous. Parcourant à leur gré l’échelle infinie du temps, ils ne sauraient distinguer l’étroite ligne de séparation entre le passé et l’avenir que nous nommons le présent.


La poursuite du bonheur et celle de la vérité sont fort distinctes. Pour l’homme soucieux de son bonheur, il est sage de ne pas trop rechercher les fondements des choses. Le chercheur avide seulement de vérité doit au contraire essayer de tout approfondir.


La découverte philosophiquement la plus haute, puisqu’elle nous ferait pénétrer dans l’essence des choses et côtoyer l’absolu, serait d’arriver à connaître la matière et les forces autrement que par leurs relations avec le monde extérieur. Les concevoir autrement est actuellement impossible, puisque ce sont uniquement ces relations qui constituent les propriétés permettant de définir les choses.


Chaque science aboutit bientôt à un mur de causalités inaccessibles. Il n’est pas un seul phénomène dont la cause première soit connue.


L’observation astronomique révèle que les astres sont à divers âges d’évolution. Ils semblent donc parcourir le cycle fatal des choses : naître, grandir, décliner et mourir. Des mondes peuplés comme le nôtre, couverts de cités florissantes, remplis des merveilles de la science et de l’art, ont dû plus d’une fois sortir de la nuit éternelle et y rentrer sans rien laisser derrière eux.


L’univers et les êtres qui l’habitent représentent des formes transitoires régies par des forces éternelles.

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