← Retour

Hier et demain : $b pensées brèves

16px
100%

CHAPITRE II
L’étatisme allemand et l’étatisme latin.

L’étatisme et sa forme ultime, le collectivisme, tendaient, avant la guerre, à devenir la religion nationale des peuples latins. Héritier du pouvoir de la Providence et de celui des rois, l’État constituait pour eux une entité mystique toujours critiquée, mais sans cesse invoquée par des citoyens lui réclamant surtout la satisfaction de leurs exigences personnelles.


Le libéralisme respectueux de toutes les opinions et l’étatisme n’admettant que la sienne semblent de plus en plus inconciliables. Les progrès de l’étatisme feraient disparaître toute trace de liberté par l’établissement d’une censure permanente des écrits, des actes et des pensées.


L’histoire de la politique en France depuis trente ans est celle des conquêtes du socialisme étatiste. A défaut du nombre, il avait l’audace et le nombre cède toujours à l’audace. Ses surenchères démagogiques et ses menaces conduisirent le pays à l’extrême bord de l’abîme où, sans la guerre, il eût probablement sombré.


Les résultats si différents obtenus par l’étatisme en France et en Allemagne contribuent à montrer non seulement que les effets des institutions dépendent de la mentalité des peuples qui les adoptent, mais encore que les mêmes mots peuvent désigner, d’un pays à l’autre, des choses bien différentes.


L’étatisme allemand est une institution surtout militaire. Sortant peu de son domaine, il laisse aux industriels leur liberté d’action. L’étatisme latin, au contraire, prétend tout gérer et tout diriger. Quand il n’absorbe pas les entreprises industrielles, il les traite en ennemies et les accable de règlements vexatoires paralysant leur essor.


L’étatisme germanique est un facteur des immenses progrès économiques de l’Allemagne, alors que l’étatisme latin fut une des causes les plus sûres de notre décadence industrielle.


Lorsqu’un État prétend tout diriger et tout absorber, il se trouve bientôt en présence d’intérêts collectifs inconciliables, qui limitent son action. Son impuissance se résout alors en anarchie.


Dans les pays où l’étatisme latin domine, la gestion suprême des affaires semble dévolue à des ministres. En fait, elle appartient à une légion de commis irresponsables. Les ministres, peu écoutés, en raison de leur incompétence, de la faible durée de leurs fonctions et de l’indiscipline générale, n’exercent qu’une autorité illusoire.


Tout individu travaillant à une œuvre collective au succès de laquelle il n’est pas intéressé fournit un faible rendement. De ce principe psychologique, si méconnu des socialistes, résulte que les entreprises gérées par l’État coûtent cher et rapportent peu.


Une des forces de l’industrie américaine est de se passer des interventions de l’État. La faiblesse de la nôtre est due aux entraves étatistes. Si nos conceptions ne changent pas, notre industrie succombera sous le poids des lois et des règlements.


Quand les citoyens ne peuvent pas s’entendre pour gérer leurs affaires, il faut bien que la lourde et coûteuse machine de l’État intervienne.


Les administrations de l’État et celles de l’industrie privée présentent cette distinction fondamentale que les premières s’occupent beaucoup plus de la forme que du fond, alors que les secondes dédaignent la forme et ne s’attachent qu’aux réalités utiles.


Le mépris des lois économiques, l’incohérence des taxations et des réquisitions pendant la guerre, la paralysie de toutes les initiatives par des bureaux tyranniques et incompétents, peuvent faire pressentir dans quelle anarchie tomberait un pays asservi définitivement au régime du socialisme étatiste.


Les renchérissements consécutifs aux taxations pendant la guerre ne firent que confirmer d’anciennes expériences. La Convention avait déjà dû reconnaître que rien ne peut remplacer l’initiative privée, la liberté du travail et le jeu mutuel des échanges.


Décourager la culture du blé par des taxations forçant l’agriculteur à vendre sa récolte au-dessous du prix de revient et par conséquent à cesser cette culture, puis tâcher de la ranimer par des subventions soumises à l’arbitraire administratif, constituent deux exemples mémorables de la pernicieuse influence des interventions étatistes.


Si, après la guerre, les initiatives industrielles, agricoles et commerciales sont paralysées par des règlements vexatoires résultant d’interventions étatistes, la décadence des peuples soumis à ce régime est certaine. Il n’y a pas de progrès sans les initiatives individuelles et ces initiatives sont impossibles dès que l’État prétend diriger l’organisme compliqué de l’industrie et du commerce.


Le socialisme pacifiste, qui avait tant contribué à nos premières défaites par l’insuffisante préparation due à la diffusion de ses doctrines, a repris l’influence perdue au début de la guerre pour deux motifs : 1o le développement universel, par suite des nécessités de la guerre, d’une autocratie étatiste très voisine du joug rêvé par les socialistes ; 2o l’affirmation, impressionnante sur l’imagination populaire, que l’on pourrait obtenir la paix au moyen d’un congrès international socialiste.


L’étatisme latin est une forme inférieure de gouvernement, ayant eu son utilité comme jadis le régime féodal, mais qui n’en a plus aujourd’hui. En se prolongeant il aurait pour terme ultime l’égalité dans la servitude, puis la décadence.


La théorie allemande de l’État souverain absolu n’acceptant d’autre loi que sa volonté implique nécessairement la prépondérance de la force sur le droit. C’est pour justifier cette prédominance que les philosophes allemands ont été amenés, après avoir divinisé l’État, à identifier le droit et la force, et à considérer la douceur et l’humanité comme des marques d’impuissance.


La conception allemande de l’État ne pouvant être lié par aucun traité est plus asiatique que romaine, plus ancienne que moderne. Elle constitue une véritable régression contre laquelle le monde entier s’est dressé.


En faisant de l’État une divinité souveraine, Hegel et ses successeurs formulèrent simplement en termes philosophiques la conception militaire de tous les rois de Prusse.


L’étatisme et le socialisme sont si voisins qu’en Allemagne la majorité des socialistes constitue un parti gouvernemental.


Il est incontestable qu’en quelques années l’Allemagne avait réussi à se placer à la tête de l’industrie. Mais on se tromperait fort en attribuant son succès à des influences étatistes. Une éducation technique supérieure, une discipline sévère, la solidarité des diverses industries, l’intervention de hautes individualités capables de diriger, les grandes entreprises et surtout la possession de riches mines de houille furent les causes des progrès réalisés en vingt-cinq ans.


Précieuse pour coordonner l’effort d’esprits médiocres, l’organisation étatiste de l’Allemagne ne saurait favoriser les recherches importantes, œuvre exclusive des élites. En perdant son individualisme l’Allemagne a perdu ses grands savants, ses grands écrivains, ses grands penseurs.


L’étatisme peut être momentanément une cause de progrès pour les peuples faibles, mais, inévitablement, il engendre la décadence. Quand l’État seul pense et agit à la place des citoyens, ils deviennent incapables de penser et d’agir. Les supériorités individuelles se noient dans une médiocrité universelle, puis disparaissent.


Les partisans irréductibles de l’étatisme deviendront fort dangereux après la guerre. Ayant vu l’autocratie étatiste imposée à tous les peuples pendant le conflit, ils en concluent à son utilité pendant la paix. De toute évidence, pourtant, un régime adapté à une situation anormale n’a de valeur que pour cette situation.


Si l’étatisme militaire créé par la guerre se continuait pendant la paix on peut se demander dans quelles limites seraient tolérées l’indépendance de pensée et la liberté individuelle. De la solution donnée à ce problème l’avenir de la civilisation dépend.


L’individualisme moderne a vu se dresser contre lui deux ennemis redoutables : le socialisme et le germanisme. Si l’humanité finit par préférer l’asservissement collectif à la liberté elle entrera dans un âge de définitive régression.


Déterminer les limites respectives de l’individualisme et de l’étatisme sera un des plus difficiles problèmes de l’avenir.

Chargement de la publicité...