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Hier et demain : $b pensées brèves

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CHAPITRE V
Imperfections des gouvernements révélées par la guerre.

Le défaut de clairvoyance a été la caractéristique générale des hommes d’État avant et pendant la guerre. Les gouvernants capables de prévoir les événements seulement quelques mois d’avance sont exceptionnels.


L’impuissance à prévoir et l’irrésolution s’expient toujours. Les Allemands ne songent pas sans terreur à la destruction qui eût menacé leur flotte si l’imprévoyance d’un ministre anglais ne leur avait jadis abandonné l’île d’Héligoland. Les Alliés ne peuvent se rappeler sans amertume que le déroulement de la guerre eût été tout autre si, au début de la campagne, un ministre avait possédé l’esprit de décision et la prévoyance nécessaires pour ordonner à quelques cuirassés de suivre les vaisseaux allemands quand ils se dirigèrent sur Constantinople.


Un empereur clairvoyant eût compris que l’Allemagne était le pays de l’univers le plus intéressé à maintenir la paix. Il eût ensuite saisi la profondeur du conseil de Bismarck de ne jamais se brouiller avec la Russie.


Les conséquences de l’imprévoyance ne se réparent guère. Les Alliés perdirent inutilement plus de 100 000 hommes a Gallipoli, dans la vaine tentative de réparer des fautes d’imprévoyance et d’indécision antérieurement commises.


Un simple vocable : l’imprévision, résume les causes de la plupart des échecs dont furent victimes les Alliés au début de la guerre.


Les maîtres des peuples continuent à vivre d’idées devenues sans valeur. Une des vérités les mieux démontrées par les faits est qu’un pays ne gagne rien à vouloir s’annexer des peuples étrangers contre leur volonté. L’Autriche en fit jadis l’expérience avec la Vénétie, l’Allemagne avec l’Alsace qui fut pour elle une cause de troubles et de dépenses pendant cinquante ans.


« Trop tard », ce mot fut comme l’a dit un ministre anglais, l’explication de bien des revers.


Impuissante jadis dans le déroulement de l’histoire, la volonté des peuples est devenue un facteur essentiel de la politique moderne.


Si les grandes puissances sont si mal renseignées par leurs agents c’est que, pour être considérés de leurs chefs, ces agents se bornent à en refléter les opinions. Nos illusions sur les Bulgares et les Grecs, au début du conflit, n’eurent guère d’autres causes.


Les erreurs dans le maniement des forces psychologiques peuvent annuler la supériorité des armements. L’Allemagne en fit l’expérience à mesure que l’insuffisance psychologique de ses diplomates lui suscitait de nouveaux ennemis.


Les gouvernements faibles sont, comme les individus sans caractère, peu redoutables pour leurs ennemis et dangereux pour leurs amis. La Russie durant la guerre illustra cet exemple.


Un dictateur n’est qu’une fiction. Son pouvoir se dissémine en réalité entre de nombreux sous-dictateurs anonymes et irresponsables dont la tyrannie et la corruption deviennent bientôt insupportables.


Toute puissance sans responsabilité se transforme vite en tyrannie.


On peut se faire une idée de la formidable puissance des marchands de vin et de la crainte qu’ils inspirent à nos législateurs en constatant que le plus illustre de nos ministres de la Guerre faillit être renversé pour avoir essayé d’entraver leur commerce, en raison de ses conséquences sur la santé du soldat.


Les motifs de contester la valeur de notre Parlement sont nombreux, mais il faut reconnaître que, sans les grandes commissions issues de son sein, nous n’aurions jamais eu ni les munitions, ni les canons nécessaires à la défense. Un gouvernement absolu, mais prisonnier d’illusions bureaucratiques, n’avait pas réussi à les obtenir.


La surenchère, si générale en politique, fut toujours une dangereuse méthode. Elle peut être momentanément utile à des partis, mais jamais à des gouvernements.


Préférer l’utilité d’un jour à des vérités durables et gouverner d’après les opinions du moment, c’est créer pour l’avenir des situations sans remède.

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