Hier et demain : $b pensées brèves
CHAPITRE V
Les forces intellectuelles.
Créatrice de toutes les découvertes qui ont transformé l’existence des hommes, la raison possède un pouvoir très grand. Il ne le fut cependant jamais assez pour déterminer la conduite des peuples.
La logique rationnelle bâtit la science, mais ne joue qu’un faible rôle dans la genèse de l’histoire.
Ce n’est pas avec la raison, et c’est le plus souvent contre elle, que s’édifient les croyances capables d’ébranler le monde.
Guidée seulement par la raison, l’Allemagne aurait vu que, sans combats et par la simple extension d’une puissance industrielle due à sa richesse houillère et à son éducation technique, elle imposerait son hégémonie à l’Europe. Dominée par son rêve d’ambition mystique elle ne le vit pas.
Les gouvernants qui prétendent n’avoir que la logique rationnelle pour guide arrivent vite à l’incohérence.
En politique, le rationalisme sert surtout à revêtir d’une forme acceptable des appétits qui ne le sont pas.
Une des sources les plus fréquentes d’erreur est de prétendre expliquer avec la raison des actes dictés par des influences affectives ou mystiques.
La raison sert beaucoup plus à justifier la conduite qu’à la diriger.
Derrière les actes que la raison croit guider se trouve la formidable armée des atavismes qui les déterminent.
L’homme qui prétend n’agir que par raison se condamne à rarement agir.
L’intuition fait penser, la volonté fait agir, la raison sert surtout à expliquer.
Des idées mal élaborées engendrent des résolutions faibles et des actes médiocres.
Le monde est évidemment plus guidé par l’instinctif que par le rationnel. Mais alors que les philosophes allemands considèrent l’instinctif comme le meilleur guide des peuples, les philosophes latins admettent que le progrès de la civilisation consiste à soumettre de plus en plus l’instinctif au rationnel.
L’instinctif est un principe de vie, mais non de civilisation.
L’intelligence tendant souvent à paralyser l’action, il n’est jamais avantageux pour un peuple d’avoir plus d’intelligence que de caractère. Les Byzantins discutaient fort bien, mais agissaient fort peu, tandis que Mahomet était déjà dans leurs murs.
En matière de prévision, le jugement est supérieur à l’intelligence. L’intelligence montre toutes les possibilités pouvant se produire. Le jugement discerne parmi ces possibilités celles qui ont le plus de chance de se réaliser.
L’analogie, origine fréquente de jugements définitifs, alors qu’elle devrait être seulement créatrice d’hypothèses à vérifier, est une source de fréquentes erreurs. C’est en se guidant sur des analogies superficielles que les dirigeants de notre état-major accumulèrent tant de fautes et se refusèrent si longtemps à multiplier les canons et les munitions.
Si l’on s’entend peu dans les discussions, c’est que des esprits différents emploient les mêmes mots pour traduire des idées dissemblables.
Les personnes ayant l’habitude de tout critiquer sont généralement celles qui possèdent le moins d’esprit critique.
L’esprit critique est à la fois créateur de progrès et générateur d’inaction.
Ce n’est pas à la raison, mais au bon sens, qu’il eût fallu jadis élever un temple. Beaucoup d’hommes sont doués de raison, très peu de bon sens.
L’abondance de paroles inutiles est un symptôme certain d’infériorité mentale.
Les hommes de génie font la grandeur intellectuelle d’une nation, mais rarement sa puissance.
Les hommes de pensée préparent les hommes d’action. Ils ne les remplacent pas.
La pensée d’un grand homme ne vit pleinement qu’après sa mort.